Frédéric Naudon, chargé d’enseignement et docteur en sociologie, est le lauréat de la toute première édition du prix UNICAEN Science & Société. Son projet : proposer des ateliers de vulgarisation réflexive pour nourrir les programmes de recherche autant que le dialogue science-société.
Quels sont les enjeux de votre projet ?
Après avoir exercé le métier de technicien chimiste, j’ai repris mes études en 1998 avec une formation en communication scientifique et technique, dans l’optique de devenir journaliste scientifique. C’est durant cette période que je me suis questionné sur la rencontre entre le « sachant » – le chercheur, l’expert, le spécialiste d’un sujet – et le « non-sachant » – le citoyen dit lambda, n’ayant pas de connaissances particulières sur ce même sujet. Cette relation est très souvent unilatérale et descendante. Mais finalement, est-ce que ce citoyen, qu’on pourrait qualifier de « profane-néophyte », est capable d’aider le spécialiste à produire de nouveaux savoirs ? Est-ce qu’il peut l’aider, grâce à son regard neuf, à mieux comprendre son sujet ? Ces questions ont fait l’objet d’une thèse de doctorat au CERREV.
Les profanes-néophytes deviennent donc des partenaires à part entière de la recherche académique ?
L’anthropologue des sciences Baudouin Jurdant soulignait déjà dans les années 1970 que la vulgarisation scientifique pouvait avoir un impact significatif sur le chercheur qui vulgarise son propre sujet d’étude. Vulgariser, c’est prendre du recul par rapport à son sujet, ce qui aide à le clarifier et à mieux l’expliciter. Par l’oralisation de son propre savoir, la vulgarisation permet la réflexivité nécessaire au travail du chercheur. Plus récemment, Lionel Maillot de l’université de Bourgogne a mis en évidence les effets bénéfiques de la vulgarisation sur la motivation et le réconfort, en particulier chez les jeunes chercheurs. Trois dispositifs expérimentaux ont été déployés dans le cadre de mes recherches, pour étudier les interactions entre spécialistes et non-spécialistes. Les chercheurs ont parfois été bousculés par des questions et des propositions qu’ils n’avaient pas envisagées. Le profane-néophyte, parce qu’il est libre de certains freins liés à la connaissance du sujet, met des projets de recherche à l’épreuve. En ce sens, il a un rôle à jouer dans l’exploration de problèmes scientifiques et technologiques complexes. Je propose de lui reconnaître une légitimité technique spécifique.
Pourquoi avoir candidaté au prix Science & Société ?
L’objectif est de proposer aux chercheurs des rencontres originales, stimulantes et bénéfiques pour leur recherche. Ces « ateliers de vulgarisation réflexive », dans la lignée du travail engagé durant mon doctorat, permettront aux chercheurs de mieux appréhender leur sujet d’étude et/ou de mettre un projet à l’épreuve en vue d’une demande de financement. Je participe actuellement à l’évaluation d’ateliers de vulgarisation réflexive avec des élèves (du CM2 à la 1re) organisés à l’université de Bourgogne et intitulés « Notre idée pour un chercheur ». Pour les chercheurs, il s’agit de se nourrir de nouveaux points de vue et de nouveaux questionnements, de (re)trouver en quelque sorte de la mobilité par rapport à leur objet d’étude. Pour les publics, il s’agit d’avoir une meilleure compréhension des enjeux et pratiques de la recherche. Et plus globalement, il s’agit de favoriser le partage d’une culture scientifique commune.
À propos du prix Science & Société
Science & Société est l’un des deux prix proposés par le concours “Têtes chercheuses”, co-produit par Le Dôme, la Fondation Musée Schlumberger et l’université de Caen Normandie dans le cadre du label “Science avec et pour la société” (MESR). Ce prix, lancé en 2022, permet de soutenir ou d’initier un projet comportant une dimension de recherche participative impliquant la société civile (associations, acteurs et actrices de l’économie sociale et solidaire, collectifs citoyens ou usagers, grand public…) et renforçant le lien entre science et société.
Le projet est sélectionné par un jury de professionnels, d’acteurs et d’actrices de la société civile. La lauréate ou le lauréat dispose d’une bourse de 10 000 euros et bénéficie d’un accompagnement des équipes du Dôme et de l’université de Caen Normandie dans la création et la mise en œuvre de son projet de recherche participative.