La microfluidique consiste à manipuler des écoulements de fluide dans de tout petits canaux, de volume inférieur au millionième de litre, gravés dans une puce qui tiendrait sur le bout de votre doigt. Ces microcanaux se sont avérés très utiles depuis plusieurs décennies pour réaliser de véritables “laboratoires sur puces”, dans lesquels circulent des fluides que l’on va utiliser pour transporter des molécules en solution ou des suspensions de petits objets de nature diverse (cellules biologiques, microparticules, etc.). Ils permettent ainsi de réaliser des opérations de transport, de mélange ou de séparation, d’un grand intérêt en génie chimique, en biologie ou en médecine (synthèse de molécules, tri cellulaire, identification d’agents biologiques, lecteur de glycémie, etc.). Cependant, les actions de contrôle de ces écoulements, comme la fermeture et l’ouverture d’une branche ou le changement de sens et de débit, reposent en général sur des parties fixes ou mobiles pilotées par des dispositifs extérieurs à la puce, ce qui constitue un sérieux frein au développement de cette technologie. Malgré d’actives recherches, on est encore loin de la microfluidique reconfigurable et programmable à souhait.
Dynamiser un réseau microfluidique pour mieux le contrôler
En étudiant la possible apparition d’une dynamique complexe dans des microcanaux (équilibres multiples et instabilités) des chercheurs de l’université de Caen Normandie (ABTE-ToxEMAC) et de l’université Northwestern (Illinois, USA, département de Physique), ont imaginé une solution à ce problème. Elle repose sur l’utilisation de l’inertie du fluide qui, même faible, peut provoquer des inversions de débits (un phénomène lié au paradoxe de Braess dans d’autres contextes). Ainsi, en contrôlant ces comportements complexes, prédits grâce à la théorie des systèmes dynamiques, on peut diriger à volonté les flux de liquide circulant dans les diverses branches. Ces modèles théoriques et numériques ont alors été confirmés par la réalisation d’un prototype à l’université de Saint-Louis (Missouri, USA, département de Chimie). L’article publié dans Nature montre ainsi la faisabilité de cette approche, et détaille comment réaliser une puce à états multiples, donc susceptible de réaliser des tâches diverses, sans modifier la géométrie des microcanaux, et sans utiliser de dispositif de contrôle extérieur.
Exploiter la dynamique périodique : l’horloge microfluidique
Il est très fréquent, en Physique non-linéaire, qu’un système dynamique se mette à osciller spontanément. Cette propriété a été exploitée dans notre puce microfluidique pour créer des débits oscillant avec une grande régularité. Ainsi, plutôt que de cadencer le travail de la puce par un contrôleur électronique extérieur, celle-ci peut maintenant posséder sa propre horloge interne. Les analyses théoriques et numériques de ce phénomène ont été publiées dans Science Advances, et une réalisation expérimentale est en cours à Normandie Université.
Jean-Régis Angilella est chercheur au laboratoire ABTE (EA 4651), et enseigne les Mathématiques et la Mécanique à l’ESIX de Cherbourg.
Références
D. J. Case, Y. Liu, Istv’an Z. Kiss, J.R. Angilella & A. E. Motter.
Braess paradox and programmable behavior in microfluidic networks. Nature 574, 647 (2019).
DOI: https://doi.org/10.1038/s41586-019-1701-6
D. J. Case, J.R. Angilella & A. Motter.
Spontaneous oscillations and negative-conductance transitions in microfluidic networks. Science Advances 6, 20 (2020). DOI: 10.1126/sciadv.aay6761