Le cancer : une maladie contagieuse ? Chez l’Homme, non. Mais certaines cellules cancéreuses peuvent se transmettre entre individus d’une même espèce animale… une découverte qui bouleverse notre perception et notre compréhension du cancer. Alicia L. Bruzos, post-doctorante originaire de Galice (Espagne), lauréate du prix 2024 Jeunes Talents L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science, s’intéresse précisément à ces cancers contagieux, observés chez les coquillages marins. Son objectif : éclairer, plus globalement, les mécanismes de transmission et de propagation de la maladie.
Ainsi les moules, les palourdes et les coques peuvent « attraper un cancer » ?
Oui tout à fait ! Il faut bien comprendre que le cancer résulte d’un dysfonctionnement de certaines cellules saines de l’organisme, qui se multiplient de manière incontrôlée, jusqu’à former des tumeurs. Or, en 2015, une étude portant sur des coquillages marins a démontré que l’ADN des cellules cancéreuses était différent de l’ADN des espèces hôtes – ce qui signifie que ces coquillages avaient tous été infectés par des cellules cancéreuses provenant d’une autre espèce marine. Cette forme de cancer est extrêmement rare dans la nature – jusqu’à présent, elle avait uniquement été identifiée chez le diable de Tasmanie et le chien domestique. Les techniques de séquençage du génome ont beaucoup progressé ces dernières années, ouvrant la voie à de nouvelles découvertes et à de nouveaux champs de recherche.
Quels sont ces nouveaux champs de recherche ?
Chez l’Homme, les cellules cancéreuses peuvent se propager dans l’organisme et s’étendre aux tissus avoisinants, voire à des organes éloignés : c’est ce qu’on appelle les métastases. Dans le cas des cancers contagieux affectant les coquillages marins, les cellules cancéreuses sont capables de se détacher des tumeurs, de survivre dans l’eau de mer et d’infecter un autre organisme. Ce sont ces mécanismes de migration et de propagation qui nous intéressent : comment le cancer se transmet-il ? Comment les cellules cancéreuses migrent-elles ? Comment réagit le système immunitaire des animaux infectés ? L’étude de cancers contagieux pourrait nous aider à mieux comprendre la manière dont les métastases se développent chez l’Homme.
Quels sont les enjeux de vos travaux de recherche ? Est-ce qu’il y a un enjeu économique ?
L’enjeu principal est d’approfondir notre compréhension des mécanismes biologiques du cancer, car ces découvertes récentes ont véritablement changé notre façon de considérer la maladie. J’ai obtenu, en 2023, un contrat post-doctoral au laboratoire BOREA (aujourd’hui laboratoire Mersea) pour travailler plus spécifiquement sur les populations de coques. Nos premiers résultats démontrent qu’il y a effectivement des cas de cancers chez les coques de Normandie. Néanmoins il n’y a pas de surmortalité due aux cancers – d’autres maladies font peser une menace bien plus importante sur ces populations. Il n’y a pas non plus d’enjeu sanitaire : ces cancers ne sont pas transmissibles à l’Homme et la consommation de coquillages ne présente aucun risque pour la santé.
Vous avez obtenu le très prestigieux prix 2024 Jeunes Talents L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science. Que signifie ce prix, pour vous et pour vos recherches ?
C’est une immense fierté ! J’ai obtenu ce prix au terme d’un long processus de sélection, à la fois complexe et exigeant. Mais je suis très heureuse d’avoir tenté le coup et très honorée de faire partie des 15 post-doctorantes lauréates en France cette année. Ce prix me donne l’opportunité de poursuivre mes recherches dans des conditions optimales, de bénéficier de formations en communication, en gestion de projet ou encore en négociation, mais aussi de profiter d’un réseau scientifique à l’international. C’est une opportunité précieuse à ce stade de ma carrière.
Quelles sont vos perspectives professionnelles ?
Mon contrat post-doctoral se termine à l’automne 2025. D’ici là, je vais continuer à analyser les données issues des échantillons de coques prélevés à Ouistreham. J’ai la chance d’avoir déjà obtenu un poste à l’Institut Max Planck de microbiologie marine : je m’installerai donc en Allemagne à la fin de l’année, pour poursuivre mes travaux. Mais nul doute que les collaborations et les liens tissés avec le laboratoire Mersea, la station marine et avec la plateforme de microscopie Cmabio3 de l’université de Caen Normandie vont perdurer !
Ce projet a reçu un financement de la Région Normandie et du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne dans le cadre de Marie Skłodowska – Curie (grant agreement no. 101034329) via le programme WINNINGNormandy.