La conférence-débat « Fin de vie : expliquer, comprendre, échanger » a fait salle comble, en ce lundi 16 janvier 2023. Le professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE), s’est entretenu avec un très large public composé d’étudiants, de professionnels et de personnes soucieuses de cette question. Au cœur des échanges : l’avis 139 du Comité consultatif, qui relance le débat sur la loi Claeys-Léonetti de 2016 et ses évolutions possibles.
Débattre avec les citoyens, région par région
La convention citoyenne, lancée par Emmanuel Macron en décembre 2022, ouvre de nouveau le débat sur la fin de vie. « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » : cette question sera examinée par la convention citoyenne, constituée d’un échantillon représentatif de la population, jusqu’en mars 2023. De nombreux débats publics sont organisés parallèlement partout en France sur les territoires. C’est dans ce cadre que l’Espace de Réflexion Éthique de Normandie (EREN) lance une série de rencontres avec le public pour informer, diffuser les connaissances, et mieux appréhender les enjeux de la loi actuelle. Le professeur Jean-François Delfraissy était l’invité de l’EREN et de l’université de Caen Normandie le lundi 16 janvier, pour évoquer l’avis 139 du CCNE sur les « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité ».
L’avis 139 du CCNE : légaliser l’aide active à mourir et renforcer les soins palliatifs
« Cet avis ne dit pas ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Il se veut comme une boussole pour lancer un débat » souligne Jean-François Delfraissy. L’avis 139, en plus de rappeler les travaux menés par le comité depuis 20 ans, étudie les problématiques éthiques liées à la loi actuelle à propos des situations des personnes souffrant de maladies graves et incurables dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. Ainsi, il formule des exigences quant à la dépénalisation de l’aide active à mourir et recommande le renforcement des mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs.
Qu’en est-il de la loi actuelle en France ? Et en comparaison à l’étranger ?
La conférence débute par un éclairage apporté par Eva Bordereau, Philomène Brun et Marie Dubois, étudiantes en M2 Droit Civil parcours « Protection des personnes vulnérables ». Elles ont rappelé le cadre actuel et la complexité de trouver une définition à la notion de « dignité ». Aujourd’hui, en France, l’euthanasie et le suicide assisté ne sont pas autorisés. À l’étranger, l’euthanasie est autorisée en Belgique et l’assistance au suicide est autorisée en Suisse. Les deux pratiques sont légales au Pays-Bas, au Luxembourg, en Espagne, au Canada, dans plusieurs États australiens et en Nouvelle-Zélande.
Un manque de connaissance sur la prise en charge palliative
Chacun devrait avoir le droit d’avoir une fin de vie digne, accompagnée et apaisée grâce à une bonne prise en charge de la souffrance. La loi Claeys-Leonetti de 2016 a été un renforcement de la loi sur la fin de vie de 1999 et a permis d’accéder à une meilleure prise en charge palliative, plus adaptée aux volontés de la personne. Afin de garantir une fin de vie apaisée, cette loi donne droit aux directives anticipées, à la personne de confiance, à la sédation profonde et continue jusqu’au décès et à l’arrêt de l’obstination déraisonnable.
Les directives anticipées permettent aux personnes d’exprimer leurs volontés concernant la fin de vie dans le cas où elles n’en seraient plus capables. En revanche, aujourd’hui, peu de personnes connaissent leurs droits et rédigent leurs directives anticipées. Les médecins devraient-ils inviter leur patientèle à le faire ? Comment lutter contre la désinformation ? « On recueille souvent les directives anticipées auprès des personnes âgées mais peut-on envisager d’en parler lors des journées du citoyen, lors des cours d’éducation civique et morale au collège ou bien doivent-elles devenir une obligation administrative ? ».
La personne de confiance est un autre dispositif de la prise en soins. Elle est choisie par le patient pour éclairer le personnel médical quant aux décisions médicales sur sa santé. Cependant, 50% des personnes de confiance ne savent pas ce que le patient souhaite véritablement. « Il faut arriver à en parler avec ses proches et cela est d’autant plus difficile que le rapport à la mort chez les jeunes n’est pas le même », souligne le Professeur Grégoire Moutel, directeur de l’EREN. « Beaucoup de jeunes adultes décèdent par accident sans avoir pu s’exprimer quant à leurs volontés de fin de vie ».
Réflexions éthiques sur l’euthanasie et le suicide assisté
« L’euthanasie a deux effets, » appuie Gabriel Prado, étudiant en L2 Philosophie avec Thomas Tafanelli, « L’un bon —l’arrêt des souffrances —, et l’autre mauvais —le fait de donner la mort. Il arrive souvent que nous soyons face à des actions avec à la fois des effets positifs et des effets négatifs. Donner un médicament est, en général, susceptible d’entraîner de tels effets. En philosophie, le principe des actions à double effet nous permet de déterminer si une action est licite au regard de ses conséquences et de l’intention qui la préside, quand bien même nous anticipons que cette action aura des effets négatifs.»
Relayant le point de vue des soignants, Elodie Schilt, infirmière et Sophie Blanchemain, médecin, participant au DU de soins palliatifs questionnent : « l’aide active à mourir serait-elle un soin, et donc la mort serait-elle un soin ? ». De nombreuses difficultés émotionnelles en lien avec les pratiques sédatives actuelles ont été mises en évidence chez les professionnels, qu’en serait-il s’il fallait donner la mort ? L’euthanasie est donc bien un enjeu éthique puisque, dans la réalité, l’action est beaucoup plus envahissante et en particulier pour les proches et les soignants. « Est-ce vraiment une liberté si pour disposer de soi-même il revient de ne pas prendre en compte les autres ? » relève la médecin Sophie Blanchemain.
Les étudiantes du M2 Éthique en santé, Natacha Bucquet et Loäne Demaret, concluent ces exposés en rappelant les enjeux éthiques de la formation des professionnels et de l’information des citoyens sur cette question de la fin de vie. Quand la guérison n’est plus l’objectif ultime du soignant, soigner devient prendre soin. La pratique médicale doit alors se nourrir d’une réflexion recentrée sur l’accompagnement des patients, des proches et de leurs familles.
Amener les clefs au public pour débattre
Les réflexions des étudiants suivies de la conférence menée par Jean-François Delfraissy ont permis d’apporter de nombreuses pistes de réflexion au public sur les problématiques éthiques de la fin de vie. Cette rencontre se termine par un échange avec le public, accompagné de témoignages et de questionnements.