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Fusion entre art et recherche sur les matériaux au CRISMAT

  • Dernière modification de la publication :5 juillet 2024
  • Post category: Recherche

Le laboratoire de Cristallographie et sciences des matériaux CRISMAT (UMR CNRS 6508) compte un nouvel élément dans son équipe depuis janvier 2024. Sophie Moraine, plasticienne bien connue des Caennais, travaille sur l’œuvre Unitas Multiplex1 au sein du laboratoire dans le cadre d’une résidence. L’artiste a permis l’émergence d’idées nouvelles autour de la cristallisation des émaux de grès tout en titillant la curiosité des chercheurs du laboratoire sur son travail.

Une production artistique protéiforme

Tout a commencé à Falaise lors d’une rencontre déterminante. « J’ai discuté avec Ulrike Lüders, chercheuse de l’équipe Films, Interfaces, Surfaces du CRISMAT au cours de l’exposition sur l’art de la mémoire 3.0 (Cardo et ex-voto) que j’avais proposée avec l’artiste chorégraphique Sophie Distefano au château de la Fresnaye, se souvient Sophie Moraine. Nous avons échangé sur mon travail. Et Ulrike m’a dit qu’elle aussi travaillait sur les modifications des propriétés physico-chimiques des cristaux à l’université. » Le rapprochement entre l’artiste et l’équipe de la scientifique s’est concrétisé via à un appel à projets de la Direction régionale des affaires culturelles, auquel Sophie Moraine a répondu.

Depuis six mois, elle partage un bureau au CRISMAT et utilise certains des fours du laboratoire pour créer son œuvre géante baptisée Unitas Multiplex. Le travail artistique de Sophie Moraine questionne et met en abyme la sociologie, la philosophie et les sciences, autour de la mémoire par l’iconologie. « Un art axé sur des lieux de mémoires et des “Images Frappantes”, dans la lignée d’Aby Warburg, Gaston Bachelard et Giordano Bruno, notamment, précise-t-elle. Inventé par les Grecs, l’art de la mémoire est un art invisible, composé d’images cachées ». Sa production artistique est protéiforme : œuvres perforées en N/B, haut-reliefs en papier blanc jusqu’à la 3D (ex-votos en céramique).

La surprise au détour des recettes

Rendre visible l’invisible. Au CRISMAT, la plasticienne reconnait être dans son olympe : « L’équipement du laboratoire et l’apport des chercheurs CNRS et des enseignants chercheurs de l’Université dont Laurence Hervé, IE CNRS plateformes instrumentales, me permettent de repousser mes connaissances sur le grès émaillé, notamment sur ce que je nomme les Gigacristaux. » Après des tâtonnements initiaux, les premiers cristaux se développent sur le grès, semblables à des cristaux de glace sur un pare-brise. « J’ai apprivoisé les fours afin de « standardiser », comme en recherche fondamentale, les courbes de cuisson, palier après palier, pour atteindre la température de fusion du mélange souhaité, environ 1.250°C », explique Sophie Moraine.

La lente phase de refroidissement permet ensuite à l’émail, devenu liquide lors de l’élévation de la température, de se solidifier en formant des cristaux. Les pièces recouvertes de sa recette secrète (silice, kaolin, zinc…), se couvrent alors de formes magnifiques : étoile, Ginkgo, feuille ou méduse. La palette de nuances et d’effets est obtenue par l’ajout d’oxydes métalliques dans les émaux cristallisés. « C’est à chaque fois une surprise », lance l’artiste.

« Les artistes et les chercheurs en matériaux ont des points communs, estime Wilfrid Prellier, directeur du CRISMAT. Les uns et les autres cheminent. Nos lectures, rencontres ou nos échanges nous ouvrent de nouveaux champs d’expérimentation et de recherche. La présence d’une artiste dans les murs du laboratoire a déclenché une nouvelle organisation qui fera émerger de nouvelles idées, aussi bien pour les chercheurs que pour Sophie Moraine. » Outre l’aspect artistique, l’un des objectifs de cette résidence est d’étudier les propriétés thermiques des cristaux sur l’émail. « S’ils pouvaient accumuler l’énergie solaire et la restituer à l’intérieur des bâtiments, les applications seraient nombreuses et intéressantes », conclut le scientifique.

  1. Unitas Multiplex est une grande pièce réalisée en hommage aux travaux d’Edgar Morin et des théoriciens grecs avant lui. Réalisée en boues industrielles recouvertes d’émail cristallisé, symbolisant les quatre vertus que sont la prudence, la tempérance, la force d’âme et la justice, elle vient d’être labélisée par le GIP Millénaire Caen 2025. Elle sera installée dans un lieu encore à définir. ↩︎