Comment la donnée peut-elle intervenir dans l’amélioration des performances sportives, de la récupération, ou sur la prévention des risques de blessure ? C’est à toutes ces questions qu’essaie de répondre Corentin Hingrand, doctorant au laboratoire Vertex, spécialiste des données dans les sports d’ultra-endurance et demi-finaliste de l’édition nationale du concours Ma thèse en 180 secondes.
En quoi consiste ta recherche ?
Je m’intéresse particulièrement à l’ultra trail, afin d’étudier les mécanismes et adaptations physiologiques pour expliquer comment il est possible de courir 160km d’une seule traite. Je regarde comment fonctionne le corps de ces sportifs, comment il va s’adapter à ce type d’effort et comment il récupère après ce type d’exercice. On sait maintenant que courir 160 kilomètres n’est pas aussi traumatisant que ce que l’on peut imaginer. Que ce soit sur une courte ou une longue distance en trail, les phénomènes inflammatoires sont essentiellement dus aux successions de descentes, entrainant une « casse musculaire ».
Celle-ci va être dépendante de l’intensité de l’effort. Sachant que l’intensité est plus élevée sur des efforts courts (on court toujours plus vite sur 10km que 100km), cette inflammation peut parfois être plus élevée sur des répétitions d’efforts courts. Des chercheurs de l’université de Grenoble-Alpes ont découvert qu’il était moins traumatisant de courir 160km d’un coup que de le faire sous forme de 4x40km. Sur des courses de 160km, on observe rapidement une dégradation des fonctions physiologiques au bout d’une cinquantaine de kms, puis le corps va se mettre en mode « économie d’énergie » afin de se protéger. Sur une course plus courte, comme un marathon, il peut y avoir davantage de traumatismes. L’intensité de l’effort exacerbe les phénomènes inflammatoires.
Comment mesurer les réactions du corps pendant ce type d’effort ?
Il faut trouver les bons outils de mesure afin de répondre aux besoins spécifiques du terrain, car ce type de tests ne peut pas se faire en laboratoire. Il existe des capteurs portatifs, par exemple, à installer sur les chaussures pour mesurer différents paramètres de la foulée, ou encore une gélule que l’on avale afin de mesurer la température interne du corps, qui peut être un facteur prédictif d’abandon. Une température trop basse ou trop élevée est signe d’un dysfonctionnement, puisque tout comme le moteur d’une voiture, le corps humain a besoin de se refroidir pendant l’effort. Le trail scientifique de Clécy, en novembre 2021, était une course spécifiquement conçue pour la recherche, avec un temps d’arrêt d’une heure pour faire des examens profonds, des électrocardiogrammes, des échographies du tendon d’Achille, des tests de vigilance ou de force musculaire.
À quoi servent ensuite ces données récoltées ?
Tout d’abord, la donnée dans le sport, c’est mettre une valeur sur le ressenti du sportif ou de l’entraîneur. Mon rôle en tant que doctorant est d’expliquer et de comprendre cette valeur pour améliorer la compréhension de la discipline et accompagner les coureurs.
Les données dans le sport permettent de surveiller la charge d’entrainement. Le sport, c’est comme apprendre un cours : il faut créer un stress à l’organisme et lui laisser le temps de s’habituer. Si la charge est trop élevée, on va se blesser car le corps n’a pas le temps de s’adapter. L’utilisation des données permet de suivre et d’augmenter progressivement l’intensité, de quantifier la performance ou avoir des indices sur la période de récupération. Les données permettent d’avoir une approche objective plutôt que subjective. Mais il faut également bien savoir les utiliser car à trop vouloir comprendre et analyser, on perd de la spontanéité et on oublie les fondamentaux. Ainsi je conseillerais plutôt aux coureurs de rester sur des choses simples, comme l’utilisation de la fréquence cardiaque à l’entraînement qui, bien maitrisée, est largement suffisante. L’évolution, ces dernières années, des appareils de mesure pour les sportifs ne sont pas pertinents chez le sportif amateur : ils vont le noyer dans une masse de données, qu’il ne sera pas apte à analyser. Rester sur quelque chose de simple et savoir bien l’utiliser peut-être plus efficace que de pousser l’analyse aussi loin.
Quel est selon toi l’impact de ta recherche pour le grand public ?
Ma recherche peut aider à faire avancer les disciplines sportives, notamment en aidant à une meilleure règlementation. Sur les sports d’ultra-endurance, beaucoup de sportifs font de l’automédication en prenant des anti-inflammatoires. Ce sont des pratiques dangereuses pouvant avoir de graves conséquences. En comprenant mieux une discipline, on peut mieux adapter les conseils et faire évoluer les pratiques. Étudier ces sports, c’est également permettre de récréer des situations de crise dans le corps humain pour mieux comprendre son fonctionnement et mieux soigner.
Pourquoi as-tu voulu participer à Ma thèse en 180 secondes, et qu’est-ce que cela t’apporte ?
Montrer ce que l’on fait au grand public est très important, d’autant plus dans le monde du sport où il y a des besoins concrets sur le terrain. C’est aussi l’occasion de faire découvrir la recherche en STAPS, qui est à la frontière entre la biologie et la santé. Cela permet aussi de rencontrer des doctorants et doctorantes d’autres horizons, et de voir que même si les disciplines sont différentes, nous avons tous une démarche scientifique similaire.
Les finalistes régionaux UNICAEN
- Raphaël Coquerel, laboratoire EVA – Écophysiologie végétale, agronomie et nutritions N.C.S.
- Mathilde Guillemois, laboratoire IDEES – Identité et différenciation de l’espace, de l’environnement et des sociétés (1er prix du jury)
- Michel du Chalard, CIMAP – Centre de recherche sur les ions, les matériaux et la photonique
- Corentin Hingrand, laboratoire VERTEX – Vertige extrême (prix du public)
- Lucas Begue-Guillou, GANIL – Grand accélérateur national d’ions lourds
- Marius Le Joubioux, GANIL – Grand accélérateur national d’ions lourds