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Le livre choc On tue les petites filles enfin réédité

  • Dernière modification de la publication :14 juin 2024
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En 1978, la publication du livre On tue les petites filles de Leïla Sebbar sur les violences sexuelles et sexistes subies par les petites filles dans le cercle familial fait l’effet d’une bombe. Salué par la critique, il va à contre-courant de la libéralisation sexuelle post 1968. Il revient aujourd’hui grâce au travail d’Anne Schneider, maîtresse de conférences HDR en langue et littérature françaises à l’université de Caen (INSPÉ de Normandie Caen, LASLAR – UR 4256) et porteuse du projet RIN EQELLES1. En plein #MeToo, le thème de cet ouvrage résonne toujours dans l’actualité.

Découverte fortuite

« C’est un peu par hasard que j’ai mis la main sur les archives du travail de Leïla Sebbar, raconte d’Anne Schneider, coordinatrice du projet du RIN EQELLES, financé par la Région Normandie. Je travaillais sur la notion d’exil dans ses écrits et c’est en feuilletant dans les nombreuses boites déposées en 2013 à l’IMEC, que j’ai découvert deux choses : son implication de 1976 à 1980 dans la revue féministe Histoires d’Elles et son travail d’enquête réalisé pour rédiger son livre On tue les petites filles. »

Curieuse, la chercheuse tombe des nues. Bien qu’ayant beaucoup travaillé sur l’œuvre de Leïla Sebbar, elle n’a jamais entendu parlé de cet essai. De fait, il est introuvable aujourd’hui, bien qu’ayant connu un succès de librairie… Sauf, si on a de la chance, chez Emmaüs. Selon la chercheuse, Leïla Sebbar cumule des handicaps : « Elle n’est pas connue, n’est pas journaliste. Le fait qu’elle soit Franco-algérienne n’a pas joué en sa faveur non plus. Enfin, dans le paysage littéraire parisien de l’époque, elle n’a pas de réseau. »

Une réédition bienvenue

Convaincue qu’elle tient là un ouvrage majeur sur les abus intrafamiliaux, sexistes et sexuelles subies par les petites filles et les adolescentes dans la France de années 70, elle entreprend alors de le faire rééditer. Mais pour le remettre dans le contexte actuel, la chercheuse en rédigera la préface et la postface. « La réédition de cet ouvrage aux éditions Le Manuscrit constitue un travail primordial dans l’historiographie des violences sexistes et sexuelles au temps de la deuxième vague du féminisme, explique Anne Schneider. Il permet de prendre conscience de l’invisibilisation permanente des maltraitances domestiques, patriarcales, archaïques qui impactent aujourd’hui encore nos sociétés ». Les récentes « affaires » Springora, Kouchner, Sinno, Godrèche ou encore Chemla le confirment. « C’est le moment pour que Leïla Sebbar soit connue pour ce qu’elle a produit car elle est complètement avant-gardiste ».

Un travail journalistique rare et massif

En effet, de 1967 à 1977, Leïla Sebbar a mené une grande enquête en parallèle à son métier d’enseignante à Paris. Pour rédiger On tue les petites filles, elle a compilé des dizaines de témoignages. Avec l’aval de la Chancellerie, elle a épluché des dossiers judiciaires et policiers, interviewé des femmes emprisonnées pour infanticide, consulté des notes de services sociaux, rencontré des directeurs de prison, des magistrats, etc.

Au total, la militante féministe dénonce en soixante-trois portraits de femmes et petites filles, l’ordinaire des violences sexistes et sexuelles dans le huis clos familial. « Elle fait le choix de l’accumulation clinique, de la massification des faits pour créer un choc face à l’effroyable état des lieux des brutalités infligées aux femmes et aux petites filles. C’est un rouleau compresseur, analyse Anne Schneider. Les viols, harcèlements physiques et psychologiques, incestes, négligences, maltraitances sont décrits crûment. C’est difficile à lire. » Les faits racontés frontalement ont eu de l’effet car on ne plus dire qu’on ne savait pas !

Le colloque « Littérature(s), féminin et féminisme(s) : enjeux, tensions, relations » se tiendra les 19, 20 et 21 juin, à l’INSPÉ Normandie Caen, à la MRSH de l’université de Caen Normandie et à l’IMEC. Ce colloque qui offrira une réflexion sur l’influence de la presse féministe du Mouvement des Femmes des années 1970 sur les idées féministes actuelles est ouvert à toutes et tous.

  1. Le projet RIN EQELLES, financé par la Région Normandie pour une durée de 2 ans, est fondé sur une double enquête : une En-Quête de Soi et une En-Quête d’Elles, partant de la trajectoire franco-algérienne de Leïla Sebbar et allant jusqu’à l’aventure collective des femmes (1970-2020). L’objectif des huit chercheuses et chercheurs est d’enquêter sur les archives déposées en 2023 par Leïla Sebbar à l’IMEC en les articulant à l’aventure collective de revues féministes Sorcières et Histoires d’elles. En récoltant les témoignages des femmes, ce travail montrera les continuités et ruptures dans la réception des discours féministes tout en éduquant aux violences faites aux femmes et aux enfants par la création d’un observatoire numérique, le « Dictionnaire Interactif critique des Ressources Féministes » (www.dirfem.fr). ↩︎