Un suivi post-opératoire ou une séance avec un psychologue de chez soi, devant son ordinateur ou sa tablette… De nouvelles pratiques, rendues possible par une offre croissante de soins à distance. La télémédecine est-elle une réponse aux défis que doit relever le système de santé ? Quelles solutions pour favoriser le déploiement de la télémédecine sur le territoire ? Rencontre avec Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé (ICREJ) et responsable scientifique du projet EDETEN.
Quels sont les objectifs du projet EDETEN ?
Les promesses de la télémédecine sont multiples : accès facilité aux soins sur l’ensemble du territoire — notamment pour les patients les plus fragiles et les plus vulnérables — prise en charge plus rapide et plus efficace, gain de temps et réduction des coûts liés aux déplacements… EDETEN, pour « Enjeux et développement de la télémédecine en Normandie », est un projet de recherche lancé en 2020 pour apporter un éclairage sur les leviers et les freins au déploiement de la télémédecine sur le territoire. Ce projet implique des juristes, des gestionnaires, des géographes, des sociologues, des psychologues et des philosophes pour répondre aux interrogations, nombreuses, que soulèvent ces nouvelles pratiques de soins.
Quel regard les professionnels de santé portent-ils aujourd’hui sur la télémédecine ?
Tous les actes médicaux ne peuvent, bien entendu, être réalisés à distance. Mais lorsqu’elle peut être mise en place, la téléconsultation est généralement bien perçue par les patients et par les professionnels de santé. L’offre de soins à distance s’étend et se diversifie. La pandémie a probablement contribué à lever les blocages existants. En santé mentale, par exemple, les psychologues et les psychiatres sont en général très satisfaits de la qualité du suivi. Néanmoins, les professionnels de santé insistent : la télémédecine doit s’inscrire dans le cadre d’un parcours de soin, et ne doit pas se substituer à l’offre de soin en présentiel.
Qu’en est-il des patients ? Et de leur consentement ?
C’est en effet l’un des enjeux soulevés par notre étude. Selon la loi, toute démarche médicale doit être conditionnée au recueil d’un consentement éclairé du patient. Cette exigence s’applique bien entendu à la télémédecine, dont les modalités et les objectifs doivent être compris par les patients. Or, les professionnels de santé considèrent trop souvent qu’une connexion équivaut à un consentement… tandis que les patients ne savent généralement pas s’ils ont consenti, ni même ce à quoi ils ont consenti. À cet égard, l’accompagnement par un tiers —membre de la famille, infirmière ou même pharmacien — joue un rôle crucial dans la relation patient-médecin, pour veiller à la réception et à la bonne compréhension de l’information. Nos travaux ont conduit à la rédaction de livres blancs sur les enjeux juridiques et éthiques pour orienter les acteurs et les décideurs locaux. Une charte sur le développement de la télémédecine a également été préparée en partenariat avec l’Espace de réflexion éthique de Normandie pour garantir la prise en charge des patients dans le respect des principes éthiques et déontologiques.
L’une des promesses de la télémédecine est d’améliorer l’accès au soin pour toutes et tous, notamment dans les zones qualifiées de « déserts médicaux ». Quelles sont les conclusions de votre étude ?
Le projet EDETEN comprend un volet « géographie et aménagement du territoire » dont l’objectif est d’analyser les disparités territoriales en matière d’accès au soin. Les conclusions de l’étude menée en Normandie rejoignent celles menées au niveau national. Elles soulignent que ce sont les jeunes actifs, vivant en milieu urbain et maîtrisant les outils numériques, qui recourent le plus aux téléconsultations. La télémédecine constitue, pour cette population, un gain de temps considérable dans une vie familiale et professionnelle déjà bien remplie. Les personnes âgées résidant en milieu rural se sont, en revanche, peu appropriées ces technologies numériques. D’où nos réflexions sur le tiers – qu’il s’agisse d’un professionnel de santé ou d’un proche, qui peut proposer un accompagnement et un soutien précieux. Autre piste étudiée : celle des tiers lieux de santé, où se concentreraient divers services numériques utiles à la population. Il existe bien, dans certaines pharmacies, des cabines dotées d’appareils connectés (tensiomètres, thermomètres, stéthoscopes…), dans lesquelles les patients s’installent pour rencontrer un médecin en téléconsultation. Mais ces cabines n’entrent pas dans une stratégie publique de déploiement et ne sont généralement pas, de fait, installées dans les territoires où elles seraient les plus utiles à la population.
Vous présenterez les conclusions de l’étude le vendredi 17 mars, lors d’un colloque ouvert au public. Quels seront les temps forts de cette journée ?
Tables rondes, posters, serious game… Les formats de discussion seront très variés avec, au cœur du programme de ce colloque ouvert au public, les dimensions éthiques, juridiques et géographiques de la télémédecine. Le projet EDETEN repose sur un important travail d’enquêtes de terrain encore inédit en Normandie. Le sujet nous concerne toutes et tous : il nous semble important de partager les résultats avec la communauté scientifique, les décideurs et les acteurs du territoire normand, mais aussi, plus globalement, avec un très large public.
Le projet « Enjeux du développement de la télémédecine en Normandie » est un projet de recherche financé sur des fonds FEDER par la Région Normandie dans le cadre des RIN Recherche (2020-2022).
Le projet EDETEN, porté par l’université de Caen Normandie, s’appuie sur un large réseau de partenaires sur le territoire normand : Région Normandie, université Le Havre Normandie, université de Rouen Normandie, Espace de réflexion éthique de Normandie, pôle TES, Gérontopôle Seine Estuaire Normandie, Union départementale des associations familiales du Calvados (UDAF 14), Mutuelle Santé et Prévoyance MGEN, Fédération hospitalo-universitaire A2M2P, Communauté urbaine Caen la Mer