MONSIEUR,
AT I, 353 I’avoüe qu’il y a un grand defaut dans l’écrit que vous avez vû, ainsi que vous le remarquez, et que ie n’y ay pas assez étendu les raisons, par lesquelles ie pense prouver qu’il n’y a rien au monde qui soit de soy plus évident et plus certain, que l’existence de Dieu, et de l’Ame humaine, pour les rendre faciles à tout le monde. Mais ie n’ay osé tascher de le faire, d’autant qu’il m’eust fallu expliquer bien au long les plus fortes raisons des Sceptiques, pour faire voir qu’il n’y a aucune chose materielle, de l’existence de laquelle on soit assuré, et par mesme moyen accoutumer le Lecteur à détacher sa pensée des choses sensibles : puis montrer que celuy qui doute ainsi de tout ce qui est materiel, ne peut aucunement pour cela douter de sa propre Existence ; d’où il suit que celuy-là, c’est à dire, l’Ame, est un Estre, ou une Substance qui n’est point du tout Corporelle, et que sa Nature n’est que de penser, et aussi qu’elle est la premiere chose qu’on puisse connoistre certainement. Mesme en s’arestant assez long-tems sur cette meditation, on acquert peu à peu une connoissance tres-claire, et si i’ose ainsi parler Intuitine, de la Clerselier I, 477 nature intellectuelle en general, l’idée de laquelle, estant considerée sans limitation, est celle qui nous represente Dieu, et limitée, est celle d’un Ange, ou d’une Ame humaine. Or il n’est pas possible de bien entendre ce que i’ay dit apres de l’existence de Dieu, si ce n’est qu’on commence par là, ainsi que i’ay assez donné à entendre en la page 38. Mais i’ay eu peur que cette entrée, qui eust semblé d’abord vouloir introduire AT I, 354 l’opinion des Sceptiques, ne troublast les plus foibles esprits, principalement à cause que i’écrivois en langue vulgaire : De façon que ie n’en ay mesme osé mettre le peu qui est en la page 32. qu’apres avoir usé de preface ; Et pour vous, Monsieur, et vos semblables, qui sont des plus intelligens, i’ay esperé que s’ils prennent la peine, non pas seulement de lire, mais aussi de méditer par ordre, les mesmes choses que i’ay dit avoir meditées, en s’arrestant assez long-temps sur chaque point, pour voir si i’ay failly, ou non, ils en tireront les mesmes conclusions que i’ai fait ; Ie seray bien-aise au premier loisir que i’auray, de faire un effort pour tascher d’éclaircir davantage cette matiere, et d’avoir eu en cela quelque occasion de vous témoigner que ie suis, etc.