MONSIEUR,
AT I, 387 Ayant eu dernierement l’honneur d’aller en vostre compagnie au logis de Monsieur de Charnassé pour luy faire offre de mon service, i’ay pensé que vous n’auriez pas desagreable que ie vous priasse de luy presenter l’un des exemplaires que ie vous envoye, et ensemble de luy en offrir encore deux autres, l’un pour le Roy, et l’autre pour Monsieur Clerselier I, 478 le Cardinal de RichesieuRichelieu, s’il luy plaist de me tant obliger, que de trouver bon que ce soit par son entremise que ie les leur presente, afin de leur témoigner en tout le peu que ie puis, ma tres humble devotion à leur service. Il est vray que n’ayant pas voulu mettre mon nom en ces écrits, ie n’avois aucunement esperé qu’ils me deussent donner occasion de le faire dire à des personnes si hautes et si éminentes ; mais ayant receu ces iours derniers un Privilege du Roy, dans lequel il a esté mis, quelque soin que i’aye eu de le celer, ie croy devoir faire maintenant quasi le mesme, que si i’avois eu dessein de le publier, et de pouvoir plus suposer qu’il soit inconnu ; Et pour ce qu’on a adjouté quelques clauses en ce Privilege, que ie n’ay iamais veuës en d’autres Livres, et qui sont beaucoup plus avantageuses pour moy, que ie ne merite, bien que ie ne les aye point desirées, et que ie n’aye demandé qu’à estre receu au nombre des Ecrivains les plus vulgaires ; Ie leur en suis tellement obligé, que ie ne sçay AT I, 388 quels moyens ie dois chercher pour leur faire paroistre ma reconnoissance ; car ie ne croy pas que nous soyons seulement redevables aux grans de faveurs que nous recevons immediatement de leurs mains, mais aussi de toutes celles qui nous viennent de leurs Ministres, tant à cause que ce sont eux qui leur en donnent le pouvoir, que principalement aussi à cause qu’ayant fait choix de telles personnes plutost que d’autres, nous devons croire que leurs inclinations à nous obliger, sont les mesmes que nous remarquons en ceux ausquels ils donnent le pouvoir de nous bien faire. Et ainsi encore que ie ne sois pas si vain, que de m’imaginer que les pensées du Roy, ou de Monsieur le Cardinal, se soient abaissées iusqu’à moy, ny qu’ils sçachent rien du Privilege que Monsieur le Chancelier m’a obligé de sceler, ie ne laisse pas de leur en avoir la premiere et la principale obligation ; Et ie reconnois en cela que la France est bien autrement, et bien mieux gouvernée que n’estoit autrefois la ville d’Ephese, en laquelle il estoit deffendu d’exceller ; Clerselier I, 479 vû qu’au contraire on y gratifie non seulement ceux qui excellent, au rang desquels ie n’ose aspirer, mais mesme ceux qui font quelque effort pour bien faire, encore que ce soit par des voyes extraordinaires, qui est une chose de laquelle ie confesse qu’on auroit eu droit de m’accuser, si i’eusse vécu parmy les Ephesiens. Au reste, ie ne m’excuse point envers Monsieur de Charnassé de la liberté que ie prens de l’employer en cette occasion : car la charge d’Ambassadeur qu’il a icy, le bon accueil dont il m’a AT I, 389 obligé, lors que i’ay eu l’honneur de le voir, et la connoissance tres-particuliere qu’il a des sciences dont i’ay traitté en ces écrits, me font plutost croire qu’il trouveroit mauvais que ie m’adressasse à un autre. Et ie ne doute point que ma priere ne luy soit plus agreable, en luy estant adressée par une personne de vostre merite, que par mes lettres ou par moy. C’est pourquoy ie vous donneray s’il vous plaist cette peine, et seray toute ma vie, etc.