AT I, 369 MONSIEUR,
Encore que le Pere Mersenne ait fait directement contre mes prieres, en disant mon nom, ie ne sçaurois toutesfois luy vouloir mal, de ce que par son moyen i’ay l’honneur d’estre connu d’une personne de vostre merite. Mais i’ay bien sujet de m’inscrire en faux, contre un projet du Privilege qu’il me mande vouloir tascher d’impetrer pour moy ; car il m’y introduit me loüant moy-mesme, et me qualifiant inventeur de plusieurs belles choses, et me fait dire que i’ofre de donner au public d’autres traitez, que ceux qui sont desia imprimez ; ce qui est contraire à ce que i’ay écrit tant au commencement de la 77. page du discours qui sert de Preface, qu’ailleurs. Mais ie m’assure qu’il vous fera voir ce que ie luy mande, puisque i’aprens par celle que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, que c’est vous qui m’avez obligé de luy suggerer quelques-unes AT I, 370 des objections ausquelles ie luy fais réponse. Pour le traité de Physique dont vous me faites la faveur de me Clerselier I, 494 demander la publication, ie n’aurois pas esté si imprudent que d’en parler en la façon que i’ay fait, si ie n’avois envie de le mettre au iour, en cas que le monde le desire, et que i’y trouve mon conte, et mes seuretez. Mais ie veux bien vous dire, que tout le dessein de ce que ie fais imprimer à cette fois, n’est que de luy preparer le chemin, et sonder le guay. Ie propose à cet effet une Methode generale, laquelle veritablement ie n’enseigne pas, mais ie tasche d’en donner des preuves par les trois traitez suivans, que ie joins au discours où i’en parle, ayant pour le premier un sujet meslé de Philosophie et de Mathematique ; pour le second, un tout pur de Philosophie ; et pour le 3. un tout pur de Mathematique, dans lesquels ie puis dire que ie ne me suis abstenu de parler d’aucune chose, (au moins de celles qui peuvent estre connuës par la force du raisonnement) pource que i’ay crû ne la pas sçavoir ; En sorte qu’il me semble par là donner occasion de iuger que i’use d’une methode par laquelle ie pourrois expliquer aussi bien toute autre matiere, en cas que i’eusse les experiences qui y seroient necessaires, et le temps pour les considerer. Outre que pour montrer que cette methode s’étend à tout, i’ay inseré briévement quelque chose de Metaphysique, de Physique, et de Medecine dans le premier discours ; Que si ie puis faire avoir au monde cette opinion de ma Methode, ie croiray alors n’avoir plus tant de sujet de craindre que les principes de ma Physique soient mal receus ; Et si ie ne rencontrois que des AT I, 371 juges aussi favorables que vous, ie ne le craindrois pas dés maintenant.
Vous me demandez in quo genere causæ Deus disposuit æternas veritates: Ie vous répons que c’est in eodem AT I, 152 genere causæ, qu’il a crée toutes choses, c’est à dire ut Efficiens et Totalis Causa. Car il est certain qu’il est aussi bien Autheur de l’essence comme de l’existence des creatures : Or cette essence n’est autre chose que ces veritez Eternelles ; lesquelles ie ne conçoy point émaner de Dieu, comme les rayons du Soleil ; mais ie sçay que Dieu est Autheur de Clerselier I, 495 toutes choses, et que ces verites sont quelque chose, et par consequent qu’il en est Autheur. Ie dis que ie le sçay, et non pas que ie le conçoy ny que ie le comprens ; car on peut sçavoir que Dieu est Infiny, et Tout-puissant, encore que nostre Ame estant finie ne le puisse comprendre ny concevoir ; de mesme que nous pouvons bien toucher avec les mains une montagne, mais non pas l’embrasser comme nous ferions un arbre, ou quelqu’autre chose que ce soit, qui n’excedast point la grandeur de nos bras : car comprendre, c’est embrasser de la pensée ; mais pour sçavoir une chose, il suffit de la toucher de la pensée. Vous demandez aussi qui a necessité Dieu à créer ces veritez ; Et ie dis qu’il a esté aussi libre de faire qu’il ne fust pas vray que toutes les lignes tirées du centre à la circonference fussent égales, comme de ne pas creer le monde. Et il est certain que ces veritez ne sont pas plus necessairement conjointes à son essence, que les autres creatures. Vous demandez ce que Dieu a fait pour les produire. Ie dis que ex hoc ipso quod illas ab æterno esse voluerit et intellexerit, illas creavit, où bien (si vous n’attribuez le mot de creavit qu’à l’existence des AT I, 153 choses) illas disposuit et fecit. Car c’est en Dieu une mesme chose de vouloir, d’entendre, et de creer, sans que l’un precede l’autre, ne quidem ratione. 2. Pour la question an Dei bonitati sit conveniens homines in æternum damnare, cela est de Theologie : c’est pourquoy absolument vous me permettrez, s’il vous plaist de n’en rien dire ; non pas que les raisons des libertins en cecy ayent quelque force, car elles me semblent frivoles et ridicules ; mais pource que ie tiens que c’est faire tort aux veritez qui dépendent de la foy, et qui ne peuvent estre prouvées par demonstration naturelle, que de les vouloir affermir par des raisons humaines, et probables seulement. 3. Pour ce qui touche la liberté de Dieu, ie suis tout à fait de l’opinion que vous me mandez avoir esté expliquée par le P Gibbieu ; Ie n’avois point sceu qu’il eust fait imprimer quelque chose, mais ie tascheray Clerselier I, 496 de faire venir son traitté de Paris à la premiere commodité, afin de le voir, et ie suis grandement aise que mes opinions suivent les siennes ; car cela m’assure au moins qu’elles ne sont pas si extravagantes, qu’il n’y ait de tres-habiles hommes qui les soutiennent. Les 4. 5. 6. 8. 9 et derniers points de vostre lettre sont tous de Theologie, c’est pourquoy ie m’en tairay, s’il vous plaist. Pour le septiéme point touchant les marques qui s’impriment aux enfans par l’imagination de la mere, etc. i’avouë bien que c’est une chose digne d’estre examinée, mais ie ne m’y suis pas encore satisfait. Pour le dixiéme point, où ayant supposé que Dieu AT I, 154 mene tout à sa perfection, et que rien ne s’aneantit, vous demandez ensuite, quelle est donc la perfection des bestes brutes, et que deviennent leurs ames apres la mort, il n’est pas hors de mon sujet, et i’y répons que Dieu mene tout à sa perfection, c’est à dire, tout collectivè, non pas chaque chose en particulier ; car cela mesme, que les choses particulieres perissent, et que d’autres renaissent en leur place, c’est une des principales perfections de l’univers. Pour leurs Ames, et les autres Formes et Qualitez, ne vous mettez pas en peine de ce qu’elles deviendront, ie suis apres à l’expliquer en mon traité, et i’espere de le faire entendre si clairement, que personne n’en pourra douter.
AT I, 366 Pour ce que vous inferez, que si la nature de l’homme n’est que de Penser, il n’a donc point de Volonté, ie n’en voy pas la consequence ; car vouloir, entendre, imaginer, sentir, etc., ne sont que des diverses façons de penser, qui apartiennent toutes à l’Ame. Vous rejettez ce que i’ay dit, qu’il suffit de bien iuger pour bien faire ; Et toutefois il me semble que la doctrine ordinaire de l’école est que voluntas non fertur in malum, nisi quatenus ei sub aliqua ratione boni repræsentatur ab intellectu ; d’où vient ce mot, omnis peccans est ignorans ; En sorte que si iamais l’entendement ne representoit rien à la volonté comme bien, qui ne le fust, elle ne pourroit manquer en son élection. Mais Clerselier I, 497 il luy represente souvent diverses choses en mesme temps ; d’où vient le mot video meliora proboque, qui n’est que pour les esprits faibles, dont i’ay parlé en la page 26. Et le bien faire dont ie parle ne se peut entendre en termes de Theologie, où il est parlé de la Grace, mais seulement de Philosophie morale et naturelle, où cette Grace n’est point considerée ; en sorte qu’on ne me peut accuser pour cela de l’erreur des Pelagiens ; non plus que si ie disois qu’il ne faut qu’avoir un bon sens pour estre honneste homme, on ne m’objecteroit pas qu’il faut aussi avoir le sexe qui nous distingue des femmes, pource que cela ne vient point AT I, 367 alors à propos ; Tout de mesme en disant qu’il est vray-semblable (à sçavoir selon la raison humaine) que le monde a esté creé tel qu’il devoit estre, ie ne nie point pour cela qu’il ne soit certain par la foy qu’il est parfait. Enfin pour ceux qui vont ont demandé de quelle Religion i’estois, s’ils avoient pris garde, que i’ay écrit en la page 29. que ie n’eusse pas crû me devoir contenter des opinions d’autruy un seul moment, si ie ne me fusse proposé d’employer mon propre iugement à les examiner lors qu’il seroit temps, ils verroient qu’on ne peut inferer de mon discours, que les Infideles doivent demeurer en la Religion de leurs parens. Ie ne trouve plus rien en vos deux lettres qui ait besoin de réponse, sinon qu’il semble que vous craigniez que la publication de mon premier discours, ne m’engage de parole à ne point faire voir cy-apres ma Physique, dequoy toutesfois il ne faut point avoir peur ; car ie n’y promets en aucun lieu de ne la point publier pendant ma vie ; mais ie dis que i’ay eu cy-devant dessein de la publier, que depuis pour les raisons que i’allegue, ie me suis proposé de ne le point faire pendant ma vie, et que maintenant ie prens resolution de publier les traitez contenus en ce volume ; d’où tout de mesme, l’on peut inferer, que si les raisons qui m’empeschent de la publier estoient changées, ie pourrois prendre une autre resolution, sans pour cela estre changeant ; car sublatâ causâ tollitur effectus. Vous dites aussi, qu’on peut attribuer Clerselier I, 498 à vanterie ce que ie dis de ma Physique, puisque ie ne la donne pas ; ce qui peut avoir lieu pour ceux qui ne me connoissent AT I, 368 point, et qui n’auront vû que mon premier discours ; mais pour ceux qui verront tout le livre, ou qui me connoissent, ie ne crains pas qu’ils m’accusent de ce vice ; non plus que de celuy que vous me reprochez, de mépriser les hommes, à cause que ie ne leur donne pas étourdiment, ce que ie ne sçay pas encore s’ils veulent avoir : car enfin ie n’ay parlé comme i’ay fait de ma Physique, qu’afin de convier ceux qui la desireront, à faire changer les causes qui m’empechant de la publier. Derechef ie vous prie de nous envoyer ou le Privilege ou son refus, le plus promtement qu’il sera possible, et plutost en la façon la plus simple un iour devant, qu’en la meilleure le iour d’aprés. Ie suis, etc.