MONSIEUR,
AT IV, 443 L’esperance que i’ay d’estre bien-tost à Paris est cause que ie suis moins soigneux d’écrire à ceux que i’espere avoir l’honneur d’y voir. Ainsi il y a desia quelque tems que i’ay receu celle que vous avez pris la peine de m’écrire ; mais i’ay pensé que vous ne vous souciez pas fort d’avoir réponse à la question AT IV, 444 qu’il vous a plû m’y proposer, touchant ce qu’on doit prendre pour le premier principe, à cause que vous y avez desia répondu mieux que ie ne sçaurois faire. I’adjoute seulement que le mot de principe se peut prendre en divers sens, et que c’est autre chose de chercher une notion commune, qui soit si claire et si generale qu’elle puisse servir de principe pour prouver l’existence de tous les Estres, les Entia, qu’on connoistra par apres ; et autre chose de chercher un Estre, l’existence duquel nous soit plus connuë que celle d’aucuns autres, en sorte qu’elle nous puisse servir de principe pour les connoistre : Au premier sens, on peut dire que impossibile est idem simul esse et non esse est un principe, et qu’il peut generalement servir, non pas proprement à faire connoistre l’existence d’aucune chose, mais seulement à faire que lors qu’on la connoist, on en confirme la verité par un tel raisonnement. Il est impossible que ce qui est ne soit pas ; Or ie connois que telle chose est ; Donc, ie connois qu’il est impossible qu’elle ne soit pas. Ce qui est Clerselier I, 535 de bien peu d’importance, et ne nous rend de rien plus sçavans : En l’autre sens, le premier principe est que nostre Ame existe, à cause qu’il n’y a rien dont l’existence nous soit plus notoire. I’adjoute aussi que ce n’est pas une condition qu’on doive requerir au premier principe, que d’estre tel que toutes les autres propositions se puissent reduire et prouver par luy, c’est assez qu’il puisse servir à en trouver plusieurs, et qu’il n’y en ait point d’autre dont il depende, n’y qu’on puisse plutost trouver que luy. AT IV, 445 Car il se peut faire qu’il n’y ait point au monde aucun principe auquel seul toutes les choses se puissent reduire ; et la façon dont on reduit les autres propositions à celle-cy, impossibile est idem simul esse et non esse, est superfluë, et de nul usage ; au lieu que c’est avec tres-grande utilité qu’on commence à s’assurer de l’existence de Dieu, et en suite de celle de toutes les creatures, par la consideration de sa propre existence.
Le Pere Mersenne m’avoit mandé que Monsieur le Conte à pris la peine de faire quelques objections contre ma Philosophie ; mais ie ne les ay point encore veuës ; ie vous prie de l’assurer que ie les attens, et que ie tiens à faveur qu’il ait pris la peine de les écrire.
L’Achille de Zenon ne sera pas difficile à soudre, si on prend garde que si à la dixiéme partie de quelque quantité, on adjoute la dixiéme de cette dixiéme, qui est une centiéme, et encore la dixiéme de cette derniere, qui n’est qu’une milliesme de la premiere, et ainsi à l’infiny, toutes ces dixiémes iointes ensemble, quoy qu’elles soient suposées réellement infinies, ne composent toutesfois qu’une quantité finie, sçavoir une neufiéme de la premiere quantité, ce qui peut facilement estre demonstré. Car, par exemple, si de la ligne AB on oste la dixiéme partie du costé qui est vers A, à sçavoir AC ; et qu’au mesme temps Clerselier I, 536 on en oste AT IV, 446 huict fois autant de l’autre costé, à sçavoir BD, il ne reste entre deux que CD qui est égal à AC, puis derechef si de CD on oste sa dixiéme partie vers A, à sçavoir CE, et huict fois autant de nostre costé, à sçavoir DF, il ne restera entre deux que EF, qui est la dixiéme de la toute CD, et si on continuë indefiniment à oster du costé marqué A un dixiéme de ce qu’on avoit osté auparavant, et huict fois autant de l’autre costé, on trouvera tousiours entre les deux dernieres lignes qu’on aura ostées, qu’il restera une dixiéme partie de toute la ligne dont elles auront esté ostées, de laquelle dixiéme on pourra derechef oster deux autres lignes en mesme façon ; Mais si on supose que cela ait esté fait un nombre de fois actuellement infiny, alors il ne restera plus rien du tout entre les deux dernieres lignes qui auront ainsi esté ostées, et on sera iustement parvenu des deux costez au point G, suposant que AG est la neufiéme partie de la toute AB, et par consequent que BG est octuple de AG : Car puisque ce qu’on aura osté du costé de B aura tousiours esté octuple de ce qu’on aura osté du costé de A, il faut que l’aggregatum, ou la somme de toutes ces lignes ostées du costé de B, qui toutes ensemble composent la ligne BG soit aussi octuple de AG, qui est l’aggregé de toutes celles qui ont esté ostées du costé de A ; Et par consequent, si à la ligne AC on adjouste CE, qui est sa dixiéme partie, et de plus une dixiéme de cette dixiéme, et ainsi à l’infiny, toutes ces lignes jointes ensemble ne composeront que la ligne AG AT IV, 447 qui est la neufiéme de la toute AB, ainsi que i’avois entrepris de demonstrer. Or cela estant sceu, si quelqu’un dit qu’une tortuë qui a dix lieuës d’avance sur un cheval, qui va dix fois aussi viste qu’elle, ne peut iamais estre devancée par luy, à cause que pendant que le cheval fait ces dix lieuës, la tortuë en fait une de plus, et que pendant que le cheval fait cette lieuë, la tortuë avance encore de la dixiéme partie d’une lieuë, et ainsi à l’infiny ; il faut répondre que veritablement le cheval ne la devancera Clerselier I, 537 point pendant qu’elle fera cette lieuë et cette dixiéme et $???$ et $???$ etc. de lieuë, mais qu’il ne suit pas de là qu’il ne la devance iamais, pource que cette $???$ et $???$ et $???$ ne font que $???$ d’une lieuë, au bout de laquelle le cheval commencera de la devancer ; Et la caption est en ce qu’on imagine que cette neufiéme partie d’une lieuë est une quantité infinie, à cause qu’on la divise par son imagination en des parties infinies. Ie suis infiniment, etc.