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A MONSIEUR CLERSELIER.
LETTRE CXIX.
MONSIEUR,
Ie ne m’étendray point icy à vous remercier de tous les soins et des précautions dont il vous a plû user, afin que les lettres que i’ay eu l’honneur de recevoir du païs du Nord ne manquassent pas de tomber entre mes mains ; car ie vous suis d’ailleurs si acquis, et i’ay tant d’autres preuves de vostre amitié que cela ne m’est pas nouveau. Ie vous diray seulement qu’il ne s’en est égaré aucune, et que ie me resous au voyage auquel i’ay esté convié par les dernieres, bien que i’y aye eu d’abord plus de repugnance que vous ne pourriez peut-estre imaginer. Celuy que i’ay fait à Paris l’Esté passé m’avoit rebuté ; et ie vous puis assurer que l’estime extraordinaire que ie fais de Monsieur Chanut, et l’assurance que i’ay de son amitié, ne sont pas les moins principales raisons qui m’ont fait resoudre.
Pour le traitté des Passions ie n’espere pas qu’il soit imprimé qu’apres que ie seray en Suede, car i’ay esté negligent à le revoir, et y adjouster les choses que vous avez iugé y manquer, lesquels l’augmenteront d’un tiers, car il contiendra trois parties, dont la premiere sera des passions
en general, et par occasion de la nature de l’Ame, etc. la seconde des six passions primitives, et la troisiéme de toutes les autres.
Pour ce qui est des difficultez qu’il vous a plû me proposer, ie répons à la premiere, qu’ayant dessein de tirer une preuve de l’existence de Dieu, de l’idée ou de la pensée que nous avons de luy, i’ay crû estre obligé de distinguer premierement toutes nos pensées en certains genres, pour remarquer lesquelles ce sont qui peuvent tromper ; et en monstrant que les chimeres mesme n’ont point en elles de fausseté, prevenir l’opinion de ceux qui pourroient rejetter mon raisonnement, sur ce qu’ils mettent l’idée qu’on a de Dieu au nombre des chimeres. I’ay dû aussi distinguer entre les idées qui sont nées avec nous et celles qui viennent d’ailleurs ou sont faites par nous, et pour prevenir l’opinion de ceux qui pourroient dire que l’idée de Dieu est faite par nous ou acquise par ce que nous en avons oüy dire. De plus i’ay insisté sur le peu de certitude que nous avons de ce que nous persuadent toutes les idées que nous pensons venir d’ailleurs, pour monstrer qu’il n’y en a aucune qui fasse rien connoistre de si certain que celle que nous avons de Dieu. Enfin ie n’auois pû dire une autre voye
2. Ie répons à la seconde, qu’il me semble voir tres clairement qu’il ne peut y avoir de progrés à l’infiny au regard des idées qui sont en moy, à cause que ie me sens finy, et qu’au lieu où i’ay écrit cela, ie n’admets en moy rien de plus que ce que ie connois y estre ; mais quand ie n’ose par apres nier le progrés à l’infiny, c’est au regard des œuvres de Dieu, lequel ie sçay estre infiny, et par consequent que ce n’est pas à moy à prescrire aucune fin à ses ouvrages.
3. A ces mots autres dont le nombre n’est pas aisé à definir, et on peut disputer de toutes, si elles doivent estre distinguées, ou non, des premieres que i’ay nommées ; Car veritas non distinguitur à re verâ, sive substantiâ, nec perfectio à re perfecta, etc. c’est pourquoy ie me suis contenté de mettre,
accidentia sunt, non autem infinitas, vel infinitudo.
7.
nos cors, ie ne puis pas toutesfois imaginer qu’ils m’ayent fait, entant que ie ne me considere que comme une chose qui pense, à cause que ie ne voy aucun raport entre l’action corporelle, par laquelle i’ay coustume de croire qu’ils m’ont engendré, et la production d’une substance qui pense.
FIN.