A MADAME ELIZABETH,
PRINCESSE PALATINE, etc.
LETTRE IV.
MADAME,
Lors que i’ay choisi le Livre de
La premiere est, qu’il tasche tousiours de se servir le mieux qu’il luy est possible de son esprit, pour connoistre ce qu’il doit faire, ou ne pas faire, en toutes les occurrences de la vie.
La seconde est, qu’il ait une ferme et constante resolution d’executer tout ce que sa raison luy conseillera, sans que ses passions ou ses appetits l’en détournent ; et c’est la fermeté de cette resolution que ie croy devoir estre prise pour la vertu, bien que ie ne sçache point que personne l’ait iamais ainsi expliquée ; mais on l’a divisée en plu Clerselier I, 11 sieurs especes, à qui l’on a donné divers noms, à cause des divers objets ausquels elle s’étend.
La troisiéme, qu’il considere que pendant qu’il se conduit ainsi autant qu’il peut selon la raison, tous les biens qu’il ne possede point sont aussi entierement hors de son pouvoir les uns que les autres, et AT IV, 266 que par ce moyen il s’acoutume à ne les point desirer ; car il n’y a rien que le desir, et le regret ou le repentir, qui nous puissent empescher d’estre contens. Mais si nous faisons tousiours ce que nous dicte nostre raison, nous n’aurons iamais aucun sujet de nous repentir, encore que les evenemens nous fissent voir par apres que nous nous sommes trompez ; pource que ce n’est point par nostre faute. Et ce qui fait que nous ne desirons point d’avoir, par exemple, plus de bras, ou plus de langues que nous n’en avons, mais que nous desirons bien d’avoir plus de santé ou plus de richesses ; c’est seulement que nous nous imaginons que ces choses-cy pourroient estre acquises par nostre conduitte, ou bien qu’elles sont duës à nostre nature, et que ce n’est pas le mesme des autres. De laquelle opinion nous pouvons nous dépoüiller, en considerant que puisque nous avons tousiours suivy le conseil de nostre raison, nous n’avons rien obmis de ce qui estoit en nostre pouvoir, et que les maladies et les infortunes ne sont pas moins naturelles à l’homme, que les prosperitez et la santé. Au reste toutes sortes de desirs ne sont pas incompatibles avec la beatitude, il n’y a que ceux qui sont accompagnez d’impatience et de tristesse. Il n’est pas necessaire aussi que nostre raison ne se trompe point, il suffit que nostre conscience nous témoigne que nous n’avons iamais manqué de resolution et de vertu pour executer toutes les choses que nous avons jugé estre les meilleures ; et ainsi la vertu seule est suffi AT IV, 267 sante pour nous rendre contens en cette vie.
Mais neantmoins pour ce que nostre vertu, lors qu’elle n’est pas assez éclairée par l’entendement, peut estre Clerselier I, 12 fausse, c’est à dire, que la resolution et la volonté de bien faire nous peut porter à des choses mauvaises, quand nous les croyons bonnes, le contentement qui en revient n’est pas solide ; et pour ce qu’on oppose ordinairement cette vertu aux plaisirs, aux apetits, et aux passions, elle est tres-difficile à mettre en pratique ; Au lieu que le droit usage de la raison, donnant une vraye connoissance du bien, empesche que la vertu ne soit fausse ; et mesme l’acordant avec les plaisirs licites, il en rend l’usage si aysé, et nous faisant connoistre la condition de nostre nature il borne tellement nos desirs, qu’il faut avoüer que la plus grande felicité de l’homme dépend de ce droit usage de la raison ; et par consequent que l’étude qui sert à l’acquerir est la plus utile ocupation qu’on peut avoir, comme elle est aussi sans doute la plus agreable et la plus douce. En suite dequoy il me semble que