Clerselier I, 147 AT V, 429

A MADAME ELIZABETH, PRINCESSE PALATINE, etc.

LETTRE L.

MADAME,
Estant arrivé depuis quatre ou cinq iours à Stocholm, l’une des premieres choses que i’estime appartenir à mon devoir est de renouveller les offres de mon tres-humble service à vostre Altesse, afin qu’elle puisse connoistre que le changement d’air et de païs ne peut rien changer ny diminuer de ma devotion et de mon zele. Ie n’ay encore eu l’honneur de voir la Reine que deux fois, mais il me semble la connoistre déja assez, pour oser dire qu’elle n’a pas moins de merite, et plus de vertu que la renommée luy en attribuë. Avec la generosité et la majesté qui éclattent en toutes ses actions, on y voit une douceur et une bonté, qui obligent tous ceux qui aiment la vertu et qui ont l’honneur d’aprocher d’elle, d’estre entierement dévoüez à son service. Une des premieres choses qu’elle m’a demandées à esté si ie sçavois de vos nouvelles, et ie n’ay pas feint de luy dire d’abord ce que ie pensois de vostre Altesse ; Car remarquant la force de son AT V, 430 Esprit, ie n’ay pas craint que cela luy donnast aucune jalousie ; comme ie m’assure aussi que V. A. n’en sçauroit avoir, de ce que ie luy écris librement mes sentimens de cette Reine. Elle est extremement portée à l’étude des lettres ; Mais pource que ie ne sçache point qu’elle ait encore rien veu de la Philosophie, ie ne puis iuger du goust qu’elle y prendra, ny si elle y pourra employer du temps, ny par consequent si ie seray capable de luy donner quelque satisfaction, et de luy estre utile en Clerselier I, 148 quelque chose. Cette grande ardeur qu’elle a pour la connoissance des Lettres, l’incite sur tout maintenant à cultiver la langue Grecque, et à ramasser beaucoup de Livres anciens ; Mais peut-estre que cela changera, et quand il ne changeroit pas, la vertu que ie remarque en cette Princesse, m’obligera tousiours de preferer l’utilité de son service au desir de luy plaire ; en sorte que cela ne m’empeschera pas de luy dire franchement mes sentimens ; et s’ils manquent de luy estre agreables, ce que ie ne pense pas, i’en tireray au moins cét avantage que i’auray satisfait à mon devoir, et que cela me donnera occasion de pouvoir dautant plutost retourner en ma solitude, hors de laquelle il est difficile que ie puisse rien avancer en la recherche de la verité ; et c’est en cela que consiste mon principal bien en cette vie. Monsieur Fr. a fait trouver bon à sa Majeste que ie n’aille iamais au Chasteau, qu’aux heures qu’il luy plaira de me donner pour avoir l’honneur de luy parler, ainsi ie n’auray pas beaucoup de peine à faire ma cour, et cela s’acommode fort à mon humeur. Apres tout neant AT V, 431 moins, encore que i’aye une tres-grande veneration pour sa Majesté, ie ne croy pas que rien soit capable de me retenir en ce païs plus long-temps que iusques à l’Esté prochain : Mais ie ne puis absolument répondre de l’avenir. Ie puis seulement vous asseurer que ie seray toute ma vie, etc.