AT IV, 135 Clerselier I, 148 (béquet)

A MADAME ELIZABETH, PRINCESSE PALATINE, etc.

LETTRE LI.

AT IV, 136 MADAME,
La faveur que me fait vostre Altesse de n’avoir pas desagreable Clerselier I, 149 que j’aye osé témoigner en public combien ie l’estime et ie l’honore, est plus grande, et m’oblige plus qu’aucune que ie pourrois reçevoir d’ailleurs ; et ie ne crains pas qu’on m’accuse d’avoir rien changé en la Morale, pour faire entendre mon sentiment sur ce sujet. Car ce que i’en ay écrit est si veritable et si clair, que ie m’assure qu’il n’y aura point d’homme raisonnable qui ne l’avouë ; mais ie crains que ce que i’ay mis au reste du Livre ne soit plus douteux et plus obscur, puisque V. A. y trouve des difficultez. Celle qui regarde la pesanteur de l’argent vif est fort considerable, et i’eusse tasché de l’éclaircir, sinon que n’ayant pas encore assez examiné la nature de ce métal, i’ay eu peur de faire quelque chose contraire à ce que ie pourray apprendre cy-apres ; tout ce que i’en puis maintenant dire, est, que ie me persuade que les petites parties de l’air, de l’eau, et de tous les autres corps terrestres ont plusieurs pores, par ou la matiere tres-subtile peut passer, et cela suit assez de la façon dont i’ay dit qu’elles sont formées : Or il suffit de dire AT IV, 137 que les parties du vif argent, et des autres metaux, ont moins de tels pores, pour faire entendre pourquoy ces metaux sont plus pesans. Car par exemple, encore que nous avoüassions que les parties de l’eau et celles du vif argent fussent de mesme grosseur et figure, et que leurs mouvemens fussent semblables, si seulement nous suposons que chacune des parties de l’eau est comme une petite corde fort molle et fort lasche, mais que celles du vif argent, ayant moins de pores, sont comme d’autres petites cordes beaucoup plus dures et plus serrées, cela suffit pour faire entendre que le vif argent doit beaucoup plus peser que l’eau. Pour les petites parties tournées en coquille, ce n’est pas merveille qu’elles ne soient point détruites par le feu qui est au centre de la terre ; car ce feu là n’estant composé que de la matiere tres-subtile toute seule, il peut bien les emporter fort viste, mais non pas les faire choquer contre quelques autres corps durs ; ce qui seroit requis pour les rompre ou diviser. Clerselier I, 150 Au reste, ces parties en coquille ne prennent point un trop grand tour pour retourner d’un pole à l’autre : Car ie suppose que la pluspart passe par le dedans de la terre ; en sorte qu’il n’y a que celles qui ne trouvent point de passage plus bas, qui retournent par nostre air ; et c’est la raison que ie donne, pourquoy la vertu de l’aimant ne nous paroist pas si forte en toute la masse de la terre, qu’en de petites pierres d’aimant ; AT IV, 138 Mais ie supplie tres-humblement vostre Altesse de me pardonner, si ie n’écris rien icy que fort confusement ; Ie n’ay point encore le Livre dont elle a daigné marquer les pages, et ie suis en un voyage continu ; mais i’espere dans deux ou trois mois avoir l’honneur de luy faire la reverence à la Haye. Ie suis, etc.