AU R. P. MERSENNE.
Touchant la Question, sçavoir : Si un Cors pese plus ou moins estant proche du centre de la Terre, qu’en estant éloigné.
LETTRE LXXIII.
MON REVEREND PERE,
Pour satisfaire à la promesse que ie vous ay faite par mes precedentes, de vous envoyer la premiere fois mon sentiment touchant la question proposée ; Ie remarque qu’ il faut icy distinguer deux sortes de Pesanteurs, l’une qu’on peut nommer vraye ou Absoluë, et l’autre qu’on peut nommer apparente ou Relative. Comme lors qu’on dit qu’en prenant une picque par l’un de ses bouts elle pese beaucoup davantage qu’en la prenant par le milieu ; cela s’entend de la Pesanteur apparente ou Relative, AT II, 223 car c’est à dire qu’elle nous semble plus pesante en cette façon, ou bien qu’elle est plus pesante à notre égard, mais non pas qu’elle l’est en soy davantage. Or avant que de parler de cette Pesanteur Relative, il faut determiner ce qu’on entend par la Pesanteur Absoluë. La pluspart la prennent pour une vertu, ou qualité interne en chacun des corps qu’on nomme Pesants, qui le fait tendre vers le centre de la Terre ; et les uns pensent que cette qualité depend de la forme de chaque corps, en sorte que la mesme matiere qui est pesante ayant la forme de l’eau perd cette qualité de pesante, et devient legere, lors qu’il arrive qu’elle prend la forme de l’air. Au lieu que les autres se persuadent qu’elle ne dépend que de la matiere, en sorte qu’il n’y a aucun corps qui ne soit pesant, à cause qu’il n’y en a aucun qui ne soit composé de matiere, et qu’absolument parlant Clerselier I, 328 chacun l’est plus ou moins, à raison seulement de ce qu’il entre plus ou moins de matière en sa composition ; bien que selon que cette matiere est plus ou moins pressée, et s’étend en un moindre ou plus grand espace, les corps qui en sont composez paroissent plus ou moins pesants à comparaison des autres, ce qu’ils attribuent à la Pesanteur Relative ; et ils imaginent que si on pouvoit peser dans le vuide, par exemple, une masse d’air contre une de plomb, et qu’il y eust iustement autant de matiere en l’une qu’en l’autre, elles demeureroient en équilibre.
Or suivant ces deux opinions, dont la premiere est la plus commune de toutes dans les écoles ; et la seconde est la plus reçeuë entre ceux qui pensent sçavoir AT II, 224 quelque chose de plus que le commun, il est évident que la Pesanteur Absoluë des corps est tousiours en eux une mesme, et qu’elle ne change point du tout, à raison de leur diverse distance du centre de la Terre.
Il y a encore une troisiéme opinion, à sçavoir de ceux qui pensent qu’il n’y a aucune Pesanteur qui ne soit Relative, et que la force ou vertu qui fait descendre les corps qu’on nomme Pesants, n’est point en eux, mais dans le centre de la Terre, ou bien en toute sa masse, laquelle les attire vers soy, comme l’aymant attire le fer, ou en quelqu’autre façon. Et selon ceux-cy, comme l’aymant et tous les autres agens naturels qui ont quelque sphere d’activité agissent tousiours davantage de prez que de loin. Il faut avoüer qu’un mesme corps pese dautant plus qu’il est plus proche du centre de la Terre.
Pour mon particulier, ie conçoy veritablement la nature de la Pesanteur d’une façon qui est fort differente de ces trois ; mais pource que ie ne la sçaurois expliquer qu’en déduisant plusieurs autres choses dont ie n’ay pas icy dessein de parler ; tout ce que i’en puis dire, est, que par elle ie n’aprens rien qui appartienne à la question proposée, sinon qu’elle est purement de fait, c’est à dire qu’elle ne sçauroit estre determinée par les hommes, Clerselier I, 329 qu’entant qu’ils en peuvent faire quelque experience, et mesme que des experiences qui se feront icy en nostre air, on ne peut pas connoistre AT II, 225 ce qui en est, beaucoup plus bas vers le centre de la Terre, ou beaucoup plus haut au delà des nuës, à cause que s’il y a de la diminution, ou de l’augmentation de Pesanteur, il n’est pas vray-semblable qu’elle suive par tout une mesme portion.
Or l’experience que l’on peut faire, est, qu’estant au haut d’une tour, au pied de laquelle il y ait un puits fort profond, on peut peser un plomb attaché à une longue corde, premierement en le mettant avec toute sa corde dans l’un des plats de la balance, et apres en y attachant seulement le bout de cette corde, et laissant pendre le poids jusques au fond du puits ; car s’il pese fort notablement plus ou moins estant proche du centre de la Terre qu’en estant éloigné, on l’apercevra par ce moyen. Mais parce que la hauteur d’un puits et d’une tour est fort petite à comparaison du diamettre de la Terre, et pour d’autres considerations que j’obmets, cette experience ne pourra servir, si la difference qui est entre un mesme poids, pesé à diverses hauteurs, n’est fort notable.
Une autre experience, qui est desia faite, et qui me semble tres-forte, pour persuader que les corps éloignez du centre de la Terre, ne pesent pas tant que ceux qui en sont proches, est que les Planettes qui n’ont point en soy de lumiere, comme la Lune, Venus, Mercure, etc. estant comme il est probable des corps de mesme matiere que la Terre, et les Cieux estant liquides, ainsi que iugent presque tous les Astronomes de ce siecle, il semble que ces Planettes devroient estre pesantes, et AT II, 226 tomber vers la terre, si ce n’estoit que leur grand éloignement leur en oste entierement l’inclination. De plus nous voyons que les gros oyseaux, comme les gruës, les cygognes, etc. ont beaucoup plus de facilité à voler au haut de l’air, que plus bas, et cela ne pouvant estre entierement attribué à la force du vent, à cause que le mesme arrive aussi en temps calme, Clerselier I, 330 nous avons occasion de juger que leur éloignement de la terre les rend plus legers. Ce que nous confirment aussi ces dragons de papier que font voler les enfans, et toute la neige qui est dans les nuës. Et enfin si l’experience que vous m’avez mandé vous mesme avoir faite, et que quelques autres ont aussi écrite, est veritable, à sçavoir, que les balles des pieces d’artillerie tirées directement vers le Zenith ne retombent point, on doit juger que la force du coup les portant fort haut, les éloigne si fort du centre de la Terre, que cela leur fait entierement perdre leur pesanteur.
Voila tout ce que ie puis dire icy de Physique sur ce sujet. Ie passe maintenant aux raisons Mathematiques, lesquelles ne se peuvent étendre qu’à la Pesanteur Relative, et il faut à cet effet determiner l’autre par suposition, puisque nous ne l’avons sçeu faire autrement. A sçavoir, nous prendrons s’il vous plaist pour la Pesanteur Absoluë de chaque corps, la force dont il tend à descendre en ligne droite estant en nostre air ordinaire à certaine distance du centre de la Terre, et AT II, 227 n’estant ny poussé ny soûtenu d’aucun autre corps, et enfin n’ayant point encore commencé à se mouvoir. Ie dis en nostre air ordinaire, à cause que s’il est en un air plus subtil, où plus grossier, il est certain qu’il sera quelque peu plus ou moins pesant ; et ie le mets à une certaine distance de la Terre, afin qu’elle soit prise pour regle des autres ; et enfin ie dis qu’il ne doit point estre poussé, ny soutenu, ny avoir commencé à se mouvoir, à cause que toutes ces choses peuvent changer la force dont il tend à descendre.
Outre cela nous suposerons, que chaque partie d’un mesme Corps Pesant retient tousiours en soy une mesme force ou inclination à descendre nonobstant qu’on l’éloigne, ou qu’on l’aproche du centre de la Terre, ou qu’on le mette en telle situation que ce puisse estre : Car encore que, comme j’ay desia dit, cela ne soit peut-estre pas vray, nous devons toutesfois le suposer, pour faire plus Clerselier I, 331 commodement nostre calcul, ainsi que les Astronomes supposent les moyens mouvemens des Astres, qui sont égaux, pour avoir plus de facilité à suputer les vrays, qui sont inégaux.
Or cette égalité en la Pesanteur Absoluë estant posée, on peut demonstrer que la Pesanteur Relative de tous les corps durs, estant considerez en l’air libre, et sans estre soutenus d’aucune chose, est quelque peu moindre lors qu’ils sont proches du centre de la Terre, que lors qu’ils en sont éloignez, bien que ce ne soit pas le mesme des corps liquides : Et au contraire que deux corps parfaitement égaux estant opposez l’un à l’autre dans une balance parfaitement exacte, lors que les bras de cette balance ne seront pas paralleles à l’horizon, AT II, 228 celuy de ces deux corps qui sera le plus proche du centre de la Terre pesera le plus, et ce d’autant justement qu’il en sera plus proche. D’où il suit aussi que hors de la balance, entre les parties égales d’un mesme cors les plus hautes pesent d’autant moins que les plus basses, qu’elles sont plus éloignées du centre de la terre. De façon que le centre de gravité ne peut estre un centre immobile en aucun corps, non pas mesme lors qu’il est spherique.
Et la preuve de cecy ne dépend que d’un seul principe, qui est le fondement general de toute la Statique. A sçavoir.
PRINCIPE GENERAL.
Qu’il ne faut ny plus ny moins de force pour lever un corps pesant à certaine hauteur, que pour en lever un autre moins pesant à une hauteur dautant plus grande, qu’il est moins pesant, ou pour en lever un plus pesant à une hauteur dautant moindre.
Comme par exemple, que la force qui peut lever un poids de 100 livres à la hauteur de deux pieds, en peut aussi lever un de 200 livres à la hauteur d’un pié, ou un de 50. livres à la hauteur de quatre pieds ; et ainsi des autres, si tant est qu’elle leur soit appliquée.
Clerselier I, 332 Ce qu’on accordera facilement, si on considere que l’effet doit tousiours estre proportionné à l’action qui est necessaire pour le produire, et ainsi que s’il est necessaire d’employer la force par laquelle on peut lever un AT II, 229 pois de 100 livres à la hauteur de deux piez pour en lever un à la hauteur d’un pié seulement, cela témoigne que celuy-cy pese 200 livres ; Car c’est le mesme de lever 100 livres à la hauteur d’un pié, et derechef encore 100 livres à la hauteur d’un pié, que d’en lever 200 livres à la hauteur d’un pié, et le mesme aussi que d’en lever 100 livres à la hauteur de deux piez. Et il suit évidemment de cecy que la Pesanteur Relative de chaque corps, ou ce qui est le mesme, la force qu’il faut employer pour le soutenir, et empescher qu’il ne descende lors qu’il est en certaine position, se doit mesurer par le commencement du mouvement que devroit faire la puissance qui le soutient, tant pour le hausser, que pour le suivre s’il s’abaissoit ; En sorte que la proportion qui est entre la ligne droite que décriroit ce mouvement, et celle qui marqueroit de combien ce corps s’aprocheroit cependant du centre de la terre, est la mesme qui est entre sa Pesanteur Absoluë et la Relative, mais cecy peut mieux estre expliqué par le moyen de quelques Exemples.
PREMIER EXEMPLE DE LA POULIE.
Le pois E estant attaché à la poulie D, autour de laquelle est passée la corde ABC, si on supose que deux hommes soutiennent, ou haussent également chacun l’un des bouts de cette corde, il est évident que si ce pois pese 200 livres, chacun de ces hommes n’employera pour le soutenir ou soulever, que la force AT II, 230 qu’il luy faut pour soutenir, ou soulever 100 liv. Car chacun n’en portera que la moitié. Puis si l’on suppose que A, l’un des bouts de cette corde, soit attaché ferme à quelque clou, et que l’autre C, soit derechef soutenu par un homme, il est évident que cet homme en C, n’aura besoin non plus que devant, pour soutenir ce pois E, que de la force qu’il faut pour Clerselier I, 333 soutenir 100 liv. A cause que le clou qui sera vers A, y fera le mesme office, que l’homme que nous y suposions auparavant. Enfin suposant que cét homme qui est vers C, tire la corde pour faire hausser le pois E, il est évident que s’il y employe la force qu’il faut pour lever 100 livres à la hauteur de deux pieds, il fera hausser ce pois E, qui en pese 200. de la hauteur d’un pié. Car la corde ABC, estant doublée comme elle est, on la doit tirer de deux pieds par le bout C, pour faire autant hausser ce pois E, que si deux hommes la tiroient l’un par le bout A, et l’autre par le bout C, chacun de la longueur d’un pié seulement.
Et il faut remarquer que c’est cette seule raison, et non point la figure ou la grandeur de la Poulie, qui cause cette force ; Car soit que la Poulie soit grande ou petite, elle aura tousiours le mesme effet. Et si on en attache encore un autre vers A, par laquelle AT II, 231 on passe la corde ABCH, il ne faudra pas moins de force pour tirer H vers K, et ainsi lever le pois E, qu’il en falloit auparavant pour tirer C vers G ; A cause que tirant deux piez de cette corde, on fera hausser ce pois d’un pié comme devant. Mais si à ces deux Poulies on en adjoute encore une autre vers D, à laquelle on attache le pois, et dans laquelle on repasse la corde, en mesme façon qu’en la premiere, on n’aura pas besoin de plus de force pour lever ce pois de 200 livres que pour en lever un de 50 livres sans Poulie ; A cause qu’en tirant deux pieds de la corde, on ne le fera hausser que d’un de Clerselier I, 334 my-pié. Et ainsi en multipliant les Poulies on peut lever les plus grands fardeaux, avec les plus petites forces, sans qu’il y ait aucune chose à rabattre de ce calcul, sinon la pesanteur de la Poulie, et la difficulté qu’on peut avoir à faire couler la corde, et à la porter ; et outre cela qu’il faut toûjours tant soit peu plus de force pour lever un pois, que pour le soutenir. Mais ces choses là ne se content point, lors qu’il est question d’examiner le reste par des raisons Mathematiques.
AT II, 232 EXEMPLE II.
DU PLAN INCLINÉ.
Soit AC un Plan incliné sur l’horizon BC, et que AB tende à plomb vers le centre de la Terre. Tous ceux qui écrivent des Mechaniques assurent, que la Pesanteur Relative du pois F, entant qu’il est appuyé sur ce Plan AC, a mesme proportion à sa Pesanteur Absoluë, que la ligne AB à la ligne AC, en sorte que si AC est double de AB, et que le pois F estant en l’air libre pese 200 livres il n’en pesera que 100 au regard de la puissance H, qui le traine ou le soutien sur ce plan AC ; et la raison en est evidente par le principe proposé. Car cette puissance H fera la mesme action pour lever ce pois à la hauteur de BA, qu’elle feroit en l’air libre pour le lever à une hauteur égale à la ligne CA. Ce qui n’est pas toutesfois entierement vray, sinon lors qu’on Clerselier I, 333 [335] suppose que les corps pesans tendent en bas suivant des lignes paralleles, ainsi qu’on fait communement, lors qu’on ne considere les Mechaniques que pour les raporter à l’usage ; Car le peu de difference que peut causer l’inclination de ces lignes, entant qu’elles tendent vers le centre de la Terre, n’est point sensible. Mais pour faire que ce calcul fust entierement AT II, 233 exact, il faudroit que la ligne CB fust une partie de cercle, et CA une partie de Spirale qui eussent pour centre le centre de la Terre. Et lors qu’on suppose que la superficie AC est toute plate, la Pesanteur Relative du pois F, n’a pas mesme proportion à l’Absoluë, que la ligne AB, à la ligne AC, sinon pendant qu’il est tout au haut vers A, car lors qu’il est tant soit peu plus bas, comme vers D, ou vers C, elle est un peu moindre ; Ainsi qu’il paroistra clairement, si on imagine que ce Plan soit prolongé iusqu’au point où il peut estre rencontré à angles droits par une ligne droite tirée du centre de la Terre. Comme si M est le centre de la Terre, et que MK soit perpendiculaire sur AC. Car il est évident que le pois F, estant mis au point K, n’y pesera rien du tout au regard de la puissance H. Et pour sçavoir combien il pese en chacun des autres points de ce Plan, au regard de cette puissance, par exemple au point D, il faut tirer une ligne droite, comme DN, vers le centre de la Terre, et du point N, pris à discretion en cette ligne, tirer NP, perpendiculaire sur DN, qui rencontre AC au point P. Car comme DN est à DP, ainsi la Pesanteur Relative du pois F en D, est à sa Pesanteur Absoluë. Dequoy la raison est évidente, vû que pendant qu’il Clerselier I, 336 est en ce point D, il tend en bas suivant la ligne DN, et toutesfois ne peut commencer à descendre que suivant la ligne DP. Notez que ie dis commencer à descendre, non pas simplement descendre, à cause que ce n’est qu’au commencement de cette descente à laquelle il faut prendre garde, en sorte que si par exemple ce pois F, n’estoit AT II, 234 pas appuyé au point D sur une superficie plate, comme est supposée ADC, mais sur une spherique, ou courbée en quelqu’autre façon, comme EDG, pourvû que la superficie plate, qu’on imagineroit la toucher au point D, fust la mesme que ADC, il ne peseroit ny plus ny moins au regard de la puissance H, qu’il fait estant appuyé sur ce Plan AC. Car bien que le mouvement que feroit ce pois en montant ou descendant du point D vers E, ou vers G, sur la superficie courbe EDG, fust toute autre que celuy qu’il feroit sur la superficie plate ADC ; toutesfois estant au point D, sur EDG, il seroit determiné à se mouvoir vers le mesme costé que s’il estoit sur ADC, à sçavoir vers A, ou vers C. Et il est évident que le changement qui arrive à ce mouvement, sitost qu’il a cessé de toucher le point D, ne peut rien changer en la pesanteur qu’il a, lors qu’il le touche. Notez aussi que la proportion qui est entre les lignes DP, DN, est la mesme qu’entre les lignes DM et DK, pource que les triangles rectangles DKM et DNP sont semblables, et par consequent que la Pesanteur Relative du pois F en D, est à sa Pesanteur Absoluë, comme la ligne DK est à la ligne DM. C’est à dire en general, que tout corps qui est soutenu par un Plan incliné pese moins que s’il n’en estoit point soutenu, dautant justement, que la distance qui est entre le point où il touche ce Plan, et celuy où la perpendiculaire du centre de la Terre tombe sur ce mesme Plan, est moindre que celle qui est entre ce pois et le centre de la Terre.
AT II, 235 EXEMPLE III. DU LEVIER.
Que CH soit un levier, tellement soutenu par le point O, que lors qu’on le hausse ou qu’on le baisse, sa partie Clerselier I, 337 C décrive le demy-cercle ABCDE, et sa partie H, le demy cercle FGHIK, desquels demy-cercles le point O soit le centre, et du reste qu’on n’ait aucun égard à sa grosseur ou pesanteur, mais qu’on le considere comme une ligne droite Mathematique en laquelle soit le point O. Puis remarquons que pendant que la force ou la puissance qui le meut décrit tout le demy-cercle ABCDE, et agit suivant cette ligne ABCDE, bien que le pois, lequel ie supose estre à l’autre bout, décrive aussi le demy-cercle FGHIK, il ne se hausse pas toutesfois de la longueur de cette ligne courbe FGHIK, mais seulement de la longueur de la ligne droite Fk. De façon que la proportion, qui est entre la force qui meut ce pois et sa Pesanteur, ne se mesure pas par celle qui est entre les deux diametres de ces cercles, ou entre leurs deux circonferences, mais plutost par celle qui est entre la circonference du premier, et Clerselier I, 338 le diametre du second. Considerons outre cela qu’il s’en faut beaucoup que cette force ait besoin d’estre si grande pour mouvoir ce Levier lors qu’il est vers A ou vers E, que lors qu’il est vers B ou vers D, ny si grande lors qu’il est vers B ou vers D, que lors qu’il est vers C. Dont la raison est, que le pois y monte moins ; ainsi qu’il est aysé à voir, si ayant suposé que la ligne COH est parallele à l’horison, et que AOF la AT II, 236 coupe à angles droits, on prend le point G également distant des points F et H, et le point B également distant des points A et C, et qu’ayant tiré GS, parallele à l’horison, on regarde que la ligne FS, qui marque combien monte ce poids, pendant que lela force agit le long de la ligne AB, est beaucoup moindre que la ligne SO, qui marque combien il monte, pendant que la force agit le long de la ligne BC.
Or pour mesurer exactement qu’elle doit estre cette force en chaque point de la ligne courbe ABCDE, il faut penser qu’elle y agit tout de mesme que si elle traisnoit le pois sur un plan circulairement incliné, et l’inclination de chacun des points de ce Plan circulaire ou spherique, se doit mesurer par celle de la ligne droite qui touche le cercle en ce point là. Comme par exemple, AT II, 237 quand la puissance est au point B, pour trouver la proportion qu’elle doit avoir avec la pesanteur du pois qui est alors au point G, il faut tirer la tangente GM, et une autre ligne du point G, comme GR, qui tende tout droit vers le centre de la Terre, puis du point M, pris à discretion en la ligne GM, tirer MR à angles droits sur GR ; Et penser que la pesanteur de ce pois au point G, est à la force qui seroit requise en ce lieu-là pour le soutenir ou pour le mouvoir suivant le cercle FGH, comme la ligne GM est à GR. De façon que si la ligne BO, est suposée double de la ligne OG, la force qui est au point B, n’a besoin d’estre à ce pois qui est au point G, que comme la moitié de la ligne GR est à la toute GM ; et si BO et OG sont égales, cette force doit estre à ce pois comme la toute GR à la toute GM, etc.
Clerselier I, 339 Tout de mesme quand la force est au point D, pour sçavoir combien pese le pois qui est alors au point I, il faut tirer la tangente IP, et la droite IN, vers le centre de la Terre, et du point P, pris à discretion dans la tangente, tirer PN à angles droits sur IN, afin d’avoir la proportion qui est entre la ligne IP, et la moitié de la ligne IN, (en cas que DO soit posée double de OI) pour celle qui est entre la Pesanteur du pois, et la force qui doit estre au point D, pour le mouvoir, et ainsi des autres.
Or il me semble que ces trois exemples suffisent pour assurer la verité du principe que j’ay proposé, et monstrer que tout ce dont on a coutume de traiter en la Statique en dépend. Car le coin, et la vis, ne sont que des plans inclinez, et les rouës dont on compose AT II, 238 diverse machines ne sont que des leviers multipliez. Et enfin la balance n’est rien qu’un levier qui est soutenu par le milieu. Si bien qu’il ne me Clerselier I, 340 reste plus icy qu’à expliquer, comme les deux conclusions que i’ay proposées en peuvent estre déduites.
Demonstration, qui explique en quel sens on peut dire qu’un corps pese moins estant proche du centre de la Terre, qu’en estant éloigné.
Soit A le centre de la Terre, et BCD un cors pesant, que ie supose estre en l’air tellement posé, que si rien ne le soutient, il descendra de H vers A, suivant la ligne HFA, tenant tousiours ses deux parties B et D également distantes de ce point A, et mesme aussi de cette ligne HF. Et considerons que pendant que ce cors descend de cette sorte, sa partie D ne se peut mouvoir que suivant la ligne DG, ny sa partie B que suivant la ligne BE, et ainsi que ces deux lignes DG et BE representent les deux Plans inclinez sur lesquels se meuvent les deux points B et D. Car ce cors BCD estant dur, sa partie D est tousiours soutenuë, pendant qu’il se meut de BD iusqu’à EG, par toutes les AT II, 239 autres parties qui sont entre D et C, aussi bien qu’elle pourroit l’estre par un Plan d’une matiere tres-dure qui seroit ou est la ligne DG (sçavoir dans le 2. Exemple qui est du Plan incliné.) Mais il a desia esté démonstré que tout cors pesant soutenu par un Plan incliné, pese moins estant proche du point ou la perpendiculaire du centre de la Terre rencontre ce Plan, qu’en estant éloigné ; d’où il suit evidemment Clerselier I, 341 que lors que le cors BCD est vers H, sa partie D pese plus, que lors qu’il est vers F. Et le mesme suit aussi de sa partie B, et de toutes les autres, pourvû seulement qu’on excepte celles qui se trouvent en la ligne HF, et mesme cette ligne HF n’estant prise que pour une ligne Mathematique, ses parties n’ont pas besoin d’estre comtées, si bien que tout ce cors pese moins estant proche du centre de la Terre, que lors qu’il en est éloigné, qui est ce qu’il falloit demonstrer.
Il est vray que cecy ne se peut entendre que des cors durs ; car pour ceux qui sont liquides il est évident que leurs parties ne se peuvent ainsi soutenir les unes les autres, ny mesme celles des cors qui sont moux et plians. Comme par exemple, si on supose que BD soit une corde, i’entens une corde Mathematique, dont toutes les parties se puissent plier également sans aucune difficulté, et qu’elle soit toute droitte, lors qu’elle est vers H, la laissant descendre vers A, ses parties se courberont peu à peu à mesure qu’elles approcheront de ce point A. En sorte AT II, 240 que lors que son milieu sera au point F, ses deux bouts seront aux points I et K, que ie supose estre tels que la difference qui est entre les lignes IA et BA, ou bien KA et DA, est égale à CF.
Mais si on considere les cors liquides, comme contenus en quelques vaisseaux ; il y a derechef une autre raison qui montre qu’ils pesent quelque peu moins estant proches du centre de la Terre, que lors qu’ils en sont éloignez. Car il faut considerer que la superficie de la liqueur qui est contenuë ; par exemple, dans le vaisseau BC, laquelle chacun sçait estre spherique, se trouve beaucoup plus voutée lors que ce vaisseau est fort proche du centre de la Terre, que lors qu’il en est plus éloigné, et que Clerselier I, 342 selon qu’elle est plus voutée le centre de gravité de cette liqueur est plus éloigné du fond du vaisseau. En sorte que si par exemple, A est le centre de la Terre, N le fond du vaisseau, et M le centre de gravité de la masse de l’eau qu’il contient, et que la ligne NM ait justement un pié de longueur, lors que le fond de ce vaisseau est tout joignant le centre de la Terre, AT II, 241 il peut estre imaginé de telle grandeur, et contenir telle quantité d’eau, que lors qu’on l’en aura éloigné de la hauteur d’une toise, la ligne NM, n’aura plus que justement un demy pié de longueur. Mais cela estant, si on l’en éloigne derechef de la hauteur d’une toise, la ligne NM ne pourra pas s’acourcir derechef d’un demy pié : car par ce moyen elle deviendroit nulle, puis qu’elle n’a desia qu’un demy pié, et elle diminüera seulement, par exemple, d’un pouce ; puis derechef le vaisseau estant haussé d’une toise, cette ligne NM diminuëra de beaucoup moins que d’un pouce, etc.
Or pour mesurer de combien on fait hausser la masse d’eau pendant qu’on hausse le vaisseau, il faut seulement considerer de combien on fait hausser son centre de gravité : car c’est tousiours le point ou se rencontre le centre de gravité des corps Pesans qui determine l’endroit où ils sont entant que Pesans ; Et pource que la puissance qui Clerselier I, 343 eleve ce vaisseau en la premiere toise, ne fait hausser ce centre que de cinq pieds et demy, au lieu que l’élevant en la seconde toise, elle le fait hausser de six pieds moins un pouce, il est évident que cette puissance doit estre d’autant plus grande pour l’élever en la seconde toise qu’en la premiere, que la distance de six pieds moins un pouce est plus grande que celle de cinq pieds et demy. Et tout de mesme en élevant le vaisseau en la troisiéme toise, on élevera le centre de gravité de l’eau un peu davantage qu’en la seconde, et ainsi de suite. De façon que cette eau pese de cela moins estant proche du centre de la Terre qu’en estant éloigné, ainsi qu’il falloit démonstrer.
AT II, 242 Autre demonstration, qui explique en quel sens on peut dire qu’un corps pese plus estant proche du centre de la Terre, qu’en estant éloigné.
Soit A le centre de la Terre, et que BD soit une balance dont le centre soit C, en sorte que ses deux bras BC et CD soient égaux, et qu’il y ait deux pois, l’un au point B, et l’autre au point D, qui soient parfaitement égaux entr’eux ; lors que la ligne BD n’est pas parallele à l’horison, le pois qui est le plus bas, comme en D, pese plus que l’autre qui est en B, dautant justement que la ligne BA est plus longue que la ligne DA. Car si on tire la ligne DE, qui touche au point D le cercle BSD, et du point E la ligne EF, perpendiculaire sur DA, la pesanteur du pois mis en D, est à sa Pesanteur Absoluë, comme la ligne DF est à la ligne DE, ainsi qu’il est prouvé cy-dessus (en l’exemple 3. du levier.) Puis si du centre de la balance on mene la ligne CG, perpendiculaire sur ADG, les deux triangles rectangles DFE et DGC sont semblables : C’est pourquoy comme DE est à DF, ainsi CD est à CG, c’est à dire, que comme la perpendiculaire menée du centre de la balance sur la ligne qui passe par D, l’extremité de l’un de ses bras, et par le centre de la Terre, est à la longueur de ce bras, ainsi Clerselier I, 344 la Pesanteur Relative du corps en D, est à sa Pesanteur Absoluë. Tout de mesme ayant mené BH, qui touche au point B le cercle BSD, et CIH qui coupe AB, au AT II, 243 point I, à angles droits, il a esté prouvé cy-dessus (en l’exemple 3. du levier) que la Pesanteur Relative du pois en B, est à l’Absoluë, comme la ligne BI est à BH, c’est à dire, comme CI est à CB ; car les triangles BIH et CIB sont semblables. Et il suit de cecy, que si les deux cors qui sont en B et en D sont parfaitement égaux, la Pesanteur Relative de celuy qui est en B, est à la Pesanteur Relative de celuy qui est en D, comme la ligne CI est à la ligne CG. De plus, des poins B et D ayant mené BL et DK perpendiculaires sur AC, elles sont égales l’une à l’autre, et le rectangle CI, BA, est aussi égal au rectangle Clerselier I, 345 BL, CA ; car prenant CA pour la baze du triangle ABC, c’est BL qui en est la hauteur ; puis prenant BA pour la baze du mesme triangle, c’est CI qui est sa hauteur. Et pour pareille raison le rectangle GCDA est égal au rectangle KDCA. Et pource que BL et KD sont égales, le rectangle CIB A est égal au rectangle CGDA. D’où AT II, 244 il suit que comme DA est à BA, ainsi CI est à CG. Or le pois en B est à celuy qui est en D, comme CI est à CG, donc il est aussi comme DA, et à AB.
En suite dequoy il est évident que le centre de gravité des deux pois B et D joins ensemble par la ligne BD, n’est pas au point C ; mais entre C et D, par exemple, au point R, ou ie supose que tombe la ligne qui divise l’angle BAD en deux parties égales. Car on sçait assez en Geometrie que cela estant, la ligne BR est à RD, comme AB est à DA, de façon que les pois B et D doivent estre soutenus par le point R, pour demeurer en équilibre en l’endroit où ils sont. Mais si on supose la ligne BD, tant soit peu plus ou moins inclinée sur l’horison, ou bien ces pois à une autre distance du centre de la Terre, il faudra qu’ils soient soutenus par un autre point pour estre en équilibre, et ainsi leur centre de gravité n’est pas tousiours un mesme point.
Au reste, il est à remarquer que toutes les parties égales d’un mesme cors, prises deux à deux, ont mesme raport l’une à l’autre, en ce qui regarde leur pesanteur, et leur commun centre de gravité, que si elles estoient opposées dans une balance ; En sorte que, par exemple, en la sphere BEG dont le centre est C, si on la divise par imagination en plusieurs parties égales comme B, E, G, etc. le centre de gravité des deux parties B, et D, considerées ensemble, est au mesme lieu qu’il seroit, si la ligne B C D estoit une balance dont AT II, 245 C fust le centre ; à sçavoir, Clerselier I, 346 il est entre C et D, pource que D est posé plus proche du centre de la Terre que n’est B. Et le centre de gravité des deux parties G et F, est aussi entre C et F, et celuy des deux E et H, entre C et H ; et ainsi des autres. D’où il suit clairement que le centre de gravité de toute cette sphere n’est pas au point C, qui est le centre de sa figure, mais quelque peu plus bas, en la ligne droite qui tend de ce centre de sa figure vers celuy de la terre. Ce qui semble veritablement fort paradoxe lors qu’on n’en considere pas la raison, mais en la considerant on peut voir que c’est une verité Mathematique tres-assurée.
Et mesme on peut demonstrer que ce centre de gravité, lequel change de place à mesure que cette sphere change de situation, est tousiours en la superficie d’une autre petite sphere décrite du mesme centre qu’elle, et dont le rayon est aux trois quarts du sien, comme le sien entier est à la distance qui est entre le centre de leur figure et celuy de la Terre. Ce que ie ne m’arreste pas icy à expliquer, à cause que ceux qui sçavent comment on trouve les centre de gravité des figures Geometriques le pourront assez entendre d’eux-mesmes, et que les autres n’y prendroient peut-estre pas de plaisir. Aussi que cét écrit est déja plus long que ie n’avois pensé qu’il dust estre.
Monsieur Descartes a depuis priè le R. P. Mersenne d’effacer ces dernieres lignes, comme s’estant lors trompé, écrivant à demy endormy.