Clerselier I, 355 Clerselier I, 355 (béquet)

RESPONSE DE MONSIEUR DESCARTES.

LETTRE LXXVI. Version

MONSIEUR,
Vous me faites beaucoup d’honneur de vouloir que mes réponses trouvent place parmy celles de ces grans hommes, dans ce beau recueil que vous nous promettez. I’aprehende seulement de n’avoir rien à vous dire qui réponde à vostre attente, ayant desia devant publié tout ce que ie sçay touchant la question que vous me proposez, dans un discours de la methode que ie fis imprimer en françois il y a quelques années, où j’ay fait voir que le mouvement du sang ne depend que de la chaleur du cœur et de la conformation des vaisseaux. Et bien que ie sois entierement d’accord avec Hervœüs touchant la circulation du sang, et que ie le regarde comme le premier qui a fait cette admirable découverte des petits passages par où le sang coule des arteres dans les veines, qui est à mon advis la plus belle et la plus utile que l’on pust faire en Medecine ; je suis toutesfois d’un sentiment tout à fait contraire au sien touchant le mouvement du cœur. Il veut, si ie m’en souviens, que le cœur dans la Diastole se dilate pour recevoir le sang, et que dans la Systole il se resserre pour le chasser ; Pour moy, voicy comme j’explique toute la chose.

Quand le cœur est vuide de sang, il en tombe necessairement de nouveau dans son ventricule droit par la Veine Cave, et dans le gauche par l’Artere Veneuse ; Ie dis necessairement, parce qu’estant fluide, et les orifices de Clerselier I, 356 ces vaisseaux, dont les rides forment les oreilles du cœur, estant fort larges, et les valvules dont ils sont munis estant pour lors ouvertes, il ne se peut sans miracle qu’il ne descende dans le cœur. Et si-tost qu’il est ainsi coulé un peu de sang dans l’un et dans l’autre ventricule, comme il y trouve plus de chaleur que dans les Veines dont il est sorty, il faut de necessité qu’il se dilate, et qu’il occupe un plus grand espace qu’auparavant ; Ie dis de necessité, parce que telle est sa nature : Et il est aisé de le remarquer, en ce que quand nous avons froid, toutes les veines de nostre corps sont si resserrées qu’à peine paroissent-elles, et quand en suitte nous venons à avoir chaud, elles s’enflent si fort que le sang qu’elles contiennent semble occuper dix fois plus d’espace. Le sang se dilatant ainsi dans le cœur, pousse de tous costez les parois de chaque ventricule, avec tant de promptitude et d’effort, qu’il ferme les petites portes qui sont aux entrées de la Veine Cave et de l’Artere Veneuze, et ouvre en mesme temps celles qui sont aux orifices de la Veine Arterieuze et de la grande Artere : (car ces petites portes sont construites de telle maniere, que selon les loix de la Mechanique celles-y se doivent ouvrir, et celles là se refermer, par le seul effort que fait le sang en se dilatant ; et c’est cette dilatation qui fait la Diastole du cœur. C’est aussi ce qui cause celuy des Arteres, estant certain que le sang qui se dilate dans le cœur ne peut ouvrir les petites portes de la Veine Arterieuze et de la grande Artere, sans pousser en mesme temps tout l’autre sang qui est contenu dans les Arteres. En suite dequoy ce mesme sang, par le mesme effort, qu’il s’est dilaté, entre dans les arteres, et ainsi le cœur se vuide ; et c’est en cela que consiste sonsa Systole. Puis, quand ce sang qui s’estoit dilaté dans le cœur est parvenu iusques dans les arteres, il se condense comme auparavant, parce qu’il y trouve moins de chaleur ; Et c’est en cela que consiste la Systole des arteres, qui suit de si prés celle du cœur, qu’elle semble se faire en mesme temps. Sur la fin de cette Systole, Clerselier I, 357 le sang contenu dans les arteres (ie prens tousiours la veine arterieuze pour une artere, et l’artere veneuze pour une veine) retombe vers le cœur, mais il ne rentre point pour cela dans ses ventricules, parce que les petites portes qui sont à leurs orifices sont disposées de telle façon, que le sang ne peut retomber sur elles sans les refermer ; comme au contraire celles qui sont aux orifices des veines s’ouvrent d’elles-mesmes quand le cœur se des-enfle, si bien qu’il y retombe de nouveau sang, qui donne lieu à une nouvelle Diastole. Toutes ces choses sont à la verité Mechaniques, aussi bien que les experiences par lesquelles on prouve qu’il y a diverses Anastomoses, par où le sang passe des arteres dans les veines : car par exemple, ce que l’on observe de la situation des valvules dans les veines, de la ligature du bras pour la seignée, de ce que tout le sang peut sortir du corps par l’ouverture d’une seule veine, ou d’une seule artere, et plusieurs autres particulieres observations sont autant d’experiences qui prouvent ces Anastomoses.

Voila tout ce que ie trouve de remarquable sur ce sujet ; Et la chose est à mon sens si claire et si certaine, que ie tiendrois superflu d’en establir la preuve par d’autres argumens. On m’enoyam’envoya de Louvain, il y a plus de six ans, des objections sur cette matiere, ausquelles ie répondis pour lors ; Mais parce que leur Auteur, qui n’a pas esté en cela de bonne foy, en donnant mes réponses au public les a tournées d’une maniere qui fait violence à mon sens, et qu’il les a tout à fait estropiées ; ie vous les envoyeray volontiers comme ie les ay écrites, pour peu que vous me témoigniez que vous les aurez agreables ; vous protestant de faire en toute autre chose ce qui me sera possible pour vôtre service, et pour l’avancement des Sciences.