AT V, 324 MONSIEUR,
La derniere que vous avez pris la peine de m’adresser à Paris, n’est point parvenu iusques à moy ; mais ie viens d’en recevoir la copie par le soin de M. Brasset, et ie tiens à une tres-insigne faveur d’aprendre par elle, qu’il plaist à la Reyne de Suede que i’aye l’honneur de luy aller faire la reverence. I’ay tant de veneration pour les hautes et rares qualitez de cette Princesse, que les moindres de ses volontez sont des commandemens tres- absolus à mon regard : C’est pourquoy ie ne mets point ce voyage en deliberation, ie me resous seulement à obeïr. Mais pource que vous ne me prescrivez aucun temps, et que vous ne le proposez, que comme une promenade dont ie pourrois estre de retour dans cét Esté, i’ay pensé qu’il seroit mal-aisé que ie puisse donner grande satisfaction à sa Majesté en si peu de temps, et qu’elle aura peut-estre plus agreable que ie prenne mes mesures plus longues, et fasse mon conte de passer l’hyver à Stocholm. Dequoy ie tireray un avantage que i’avouë estre considerable à un homme qui n’est plus ieune, et qu’une retraite de vingt-ans a entierement desacoutumé de la fatigue ; C’est qu’il ne sera point necessaire que ie me mettremette en chemin au commencement du Printemps, ny à la fin de l’Automne, et que ie pourray prendre la saison la plus sure et la plus commode, qui sera ie croy vers le milieu de l’Esté ; outre que i’espere avoir cepen AT V, 325 dant le loisir de mettre ordre à quelques affaires qui m’importent. Ainsi ie me propose d’attendre l’honneur de recevoir encore une fois de vos Clerselier I, 136 Lettres avant que ie parte d’icy, et ie ne manqueray pas d’obeïr tres-exactement à tout ce qui me sera commandé de la part de sa Majesté, ou bien à ce qu’il vous plaira me faire sçavoir luy estre agreable ; Car ie ne sçay s’il est à propos qu’elle sçache que i’ay demandé ce delay ; et ie n’oserois prendre la liberté de luy écrire, pource que le respect et le zele que i’ay, me font iuger que mon devoir feroit de me rendre au lieu où elle est, avant que les Couriers y pussent porter des lettres ; Mais ie me fie en vostre amitié et en vostre adresse pour menager mes excuses. Au reste, ie ne sçay en quels termes ie vous puis remercier de toutes les offres qu’il vous plaist me faire, iusques à me vouloir mesme loger chez vous. Ie n’ose les accepter, ny les refuser. Ie vous puis seulement assurer, que ie feray tout mon possible, pour n’en user qu’en telle sorte, que ny vous ny aucun des vostres n’en serez incommodez, et que ie seray toute ma vie, etc.