MADAME,
Passant par la Haye pour aller en France, puis que ie Clerselier I, 67 ne puis y avoir l’honneur de recevoir vos commandemens, et vous faire la reverence, il me semble que ie suis obligé de tracer ces lignes, afin d’assurer vostre Altesse, que mon zele et ma devotion ne changeront point, encore que ie change de terre. I’ay receu depuis deux iours une Lettre de Suede de Monsieur le Resident de France qui est là, où il me propose une question de la part de la Reyne, à laquelle il m’a fait connoistre en luy monstrant ma réponse à une autre Lettre qu’il m’avoit cy-devant envoyée ; Et la façon dont il décrit cette Reyne, avec les discours qu’il raporte d’elle, me la font tellement estimer, qu’il me semble que vous seriez dignes de la conversation l’une de l’autre ; et qu’il y en a si peu au reste du monde qui en soient AT V, 60 dignes, qu’il ne seroit pas mal-aisé à vostre Altesse de lier une fort étroite amitié avec elle ; Et qu’outre le contentement d’esprit que vous en auriez, cela pourroit estre à désirer pour diverses considerations. I’avois écrit cy-devant à ce mien amy Resident en Suede, en répondant à une Lettre où il parloit d’elle, que ie ne trouvois pas incroyable ce qu’il m’en disoit, à cause que l’honneur que i’avois de connoistre vostre Altesse, m’avoit appris combien les personnes de grande naissance pouvoient surpasser les autres, etc. Mais ie ne me souviens pas si c’est en la Lettre qu’il luy a fait voir, ou bien en une autre precedente ; Et pour ce qu’il est vray-semblable qu’il luy fera voir doresnavant les Lettres qu’il recevra de moy, ie tascheray tousiours d’y mettre quelque chose qui luy donne sujet de souhaitter l’amitié de vostre Altesse, si ce n’est que vous me le deffendiez. On a fait taire les Theologiens qui me vouloient nuire, mais en les flatant, et en se gardant de les offenser le plus qu’on a pû, ce qu’on attribuë maintenant au tems ; mais i’ay peur que ce tems durera tousiours, et qu’on leur lairra prendre tant de pouvoir, qu’ils seront insupportables. On acheve l’impression de mes Principes en François, et pour ce que c’est l’Epistre qu’on imprimera la derniere, i’en envoye icy la copie à vostre Altesse, Clerselier I, 68 afin que s’il y a quelque chose qui ne luy agrée pas, et qu’elle juge devoir estre mis autrement, il luy plaise me faire la faveur d’en avertir celuy qui sera toute sa vie, etc.