MADAME,
I’ay reçeu les Lettres de vostre Altesse du 23. Decembre presque aussi-tost que les precedentes, et i’avoüe que ie suis en peine touchant ce que ie dois répondre à ces precedentes, à cause que vostre Altesse y témoigne vouloir que i’écrive le traité de l’Erudition, dont i’ay eu autrefois l’honneur de luy parler ; et il n’y a rien que ie souhaite avec plus de zele, que d’obeïr à vos commandemens ; mais ie diray icy les raisons qui sont cause que i’avois laissé le dessein de AT V, 112 ce traité, et si elles ne satisfont à vostre Altesse, ie ne manqueray pas de le reprendre. La premiere est, que ie n’y sçaurois mettre toutes les veritez qui y devroient estre, sans animer trop contre moy les gens de l’école, et que ie ne me trouve point en telle condition, que ie puisse entierement mépriser leur haine. La seconde est, que i’ay déja touché quelque chose de ce que i’avois envie d’y mettre, dans une Preface qui est au devant de la traduction Françoise de mes Principes, laquelle ie pense que vostre Altesse a maintenant reçeuë. La troisiéme est, que i’ay maintenant un autre écrit entre les mains, que i’espere pouvoir estre plus agreable à vostre Altesse, c’est la description des fonctions de l’animal, et de l’homme ; Car ce que i’en avois broüillé il y a douze ou treize ans, qui a esté vû par vostre Altesse, estant venu entre les mains de plusieurs qui l’ont mal transcrit, i’ay crû estre obligé de le mettre plus au net, c’est à dire, de le refaire, Clerselier I, 79 Et mesme ie me suis avanturé, (mais depuis huit ou dix jours seulement) d’y vouloir expliquer la façon dont se forme l’animal dés le commencement de son origine ; Ie dis l’animal en general ; Car pour l’homme en particulier ie ne l’oserois entreprendre, faute d’avoir assez d’experience pour cet effet. Au reste ie considere ce qui me reste de cet Hyver, comme le temps le plus tranquille que i’auray peut-estre AT V, 113 de ma vie ; Ce qui est cause que j’ayme mieux l’employer à cette étude, qu’à une autre qui ne requert pas tant d’attention. La raison qui me fait craindre d’avoir cy-apres moins de loisir, est que ie suis obligé de retourner en France l’Esté prochain, et d’y passer l’Hyver qui vient ; Mes affaires domestiques et plusieurs raisons m’y contraignent. On m’y a fait aussi l’honneur de m’y offrir pension de la part du Roy, sans que ie l’aye demandée ; ce qui ne sera point capable de m’attacher, mais il peut arriver en un an beaucoup de choses ; Il ne sçauroit toutesfois rien arriver qui puisse m’empescher de preferer le bon-heur de vivre au lieu où seroit vostre Altesse, si l’occasion s’en presentoit, à celuy d’estre en ma propre patrie, ou en quelqu’autre lieu que ce puisse estre. Ie n’atens encore de long-temps réponse à la lettre touchant le Souverain Bien, pour ce qu’elle a demeuré prés d’un mois à Amsterdam, par la faute de celuy à qui ie l’avois envoyée pour l’adresser ; Mais si-tost que j’en auray quelques nouvelles, ie ne manqueray pas de le faire sçavoir à vostre Altesse : Elle ne contenoit aucune chose de nouveau qui meritast de vous estre envoyée. I’ay receu depuis quelques lettres de ce pays-là, par lesquelles on me mande que les miennes AT V, 114 sont attenduës, et selon qu’on m’écrit de cette Princesse elle doit estre extremement portée à la vertu, et capable de bien juger des choses ; on me mande qu’on luy presentera la version de mes Principes, et qu’on m’assure qu’elle en lira la premiere partie avec satisfaction, et qu’elle seroit bien capable du reste, si les affaires ne luy en ostoient le loisir. I’envoye avec cette lettre un livret de Clerselier I, 80 peu d’importance, et ie ne l’enferme pas en mesme paquet, à cause qu’il ne vaut pas le port ; ce sont les insultes de Monsieur Reg. qui m’ont contraint de l’écrire, et il a esté plutost imprimé que ie ne l’ay sceu : mesme on y a joint des vers et une Preface que ie desaprouve, quoy que les vers soient de Monsieur Hey, mais qui n’a osé y mettre son nom, comme aussi ne le devoit-il pas.
Ie suis, etc.