MONSIEUR,
Si ie m’estois donné l’honneur de vous écrire autant de fois que i’en ay eu le desir, depuis que vous estes passé par ce pays, vous auriez esté fort souvent importuné de mes Lettres ; car il n’y a pas un iour que ie n’y aye pensé plusieurs fois. Mais i’ay attendu que i’eusse quelque autre occasion pour écrire à Monsieur Brasset, afin qu’il ne luy semblast pas que ie ne le voulusse employer que pour faire tenir des paquets ; et cette occasion n’estant pas venuë, comme i’avois esperé, ie me propose d’aller demain à la Haye, et de luy porter celle-cy pour vous estre adressée. La rigueur extraordinaire de cét hyver m’a obligé à faire souvent des souhaits pour vostre santé, et pour AT IV, 377 celle de Clerselier I, 100 tous les vostres : Car on remarque en ce païs qu’il n’y en a point eu de plus rude depuis l’année 1608. Si c’est le mesme en Suede vous y aurez veu toutes les glaces que le Septentrion peut produire. Ce qui me console, c’est que ie sçay qu’on a plus de preservatifs contre le froid en ces quartiers-là qu’on n’en a pas en France, et ie m’assure que vous ne les aurez pas negligez. Si cela est, vous aurez passé la pluspart du temps dans un poesle, où ie m’imagine que les affaires publiques ne vous auront pas si continuellement occupé, qu’il ne vous soit resté du loisir pour penser quelquefois à la Philosophie ; Et si vous avez daigné examiner ce que i’en ay écrit, vous me pouvez extremement obliger en m’avertissant des fautes que vous y aurez remarquées. Car ie n’ay encore pû rencontrer personne qui me les ay dites ; et ie voy que la pluspart des hommes iugent si mal, que ie ne me dois point arrester à leurs opinions ; mais ie tiendray les vostres pour des oracles. Si vous avez aussi jetté quelquefois la veuë hors de vostre poesle, vous aurez peut-estre aperçeu en l’air d’autres meteores que ceux dont i’ay écrit, et vous m’en pourriez donner de bonnes instructions. Une seule observation que ie fis de la neige hexagone en l’année 1635. a esté cause du Traitté que i’en ay fait. Si toutes les experiences dont i’ay besoin pour le reste de ma Physique, me pouvoient ainsi tomber des nuës, et qu’il ne me fallust que des yeux pour les connoître, AT IV, 378 ie me promettrois de l’achever en peu de temps ; mais pource qu’il faut aussi des mains pour les faire, et que ie n’en ay point qui y soient propres, ie pers entierement l’envie d’y travailler davantage. Ce qui n’empesche pas neantmoins que ie ne cherche tousiours quelque chose, quand ce ne seroit que ut doctus emoriar, et afin d’en pouvoir conferer en particulier avec mes amis, pour lesquels ie ne sçaurois rien avoir de caché. Mais ie me plains de ce que le monde est trop grand à raison du peu d’honnestes gens qui s’y trouvent ; ie voudrois qu’ils fussent tous assemblez en une Ville, et alors ie serois bien aise de Clerselier I, 101 quitter mon hermitage pour aller vivre avec eux, s’ils me vouloient recevoir en leur compagnie : Car encore que ie fuïe la multitude, à cause de la quantité des impertinens et des importuns qu’on y rencontre, ie ne laisse pas de penser que le plus grand bien de la vie est de iouïr de la conversation des personnes qu’on estime. Ie ne sçay si vous en trouvez beaucoup aux lieux où vous estes qui soient dignes de la vostre ; mais pource que i’ay quelquefois envie de retourner à Paris, ie me plains quasi de ce que Messieurs les Ministres vous ont donné un employ qui vous en éloigne, et ie vous assure que si vous y estiez, vous seriez l’un des principaux sujets qui me pourroient obliger d’y aller ; car c’est avec une tres-particuliere inclination que ie suis, etc.