MONSIEUR,
I’ay esté bien aise d’aprendre par les Lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, que la Suede n’est pas si éloignée d’icy qu’on n’en puisse avoir des nouvelles en peu de semaines, et ainsi que ie pourray avoir quelquefois le bon-heur de vous entretenir par écrit, et de participer aux fruits de l’étude à laquelle AT IV, 441 ie vous vois preparé. Car puis qu’il vous plaist de prendre la peine de revoir mes Principes, et de les examiner, Ie m’assure que vous y remarquerez beaucoup d’obscuritez, et beaucoup de fautes, qu’il m’importe fort de sçavoir, et dont ie ne puis esperer d’estre averty par aucun autre si bien que par vous. Ie crains seulement que vous ne vous dégouttiez bien-tost de cette lecture, à cause que ce que i’ay écrit ne conduit Clerselier I, 102 que de fort loin à la Morale, que vous avez choisie pour vostre principale étude. Ce n’est pas que ie ne sois entierement de vostre avis, en ce que vous iugez que le moyen le plus assuré pour sçavoir comment nous devons vivre, est de connoistre auparavant quels nous sommes, quel est le Monde dans lequel nous vivons, et qui est le Créateur de ce Monde, ou le Maistre de la maison que nous habitons ; mais outre que ie ne pretens, ny ne promets en aucune façon que tout ce que i’ay écrit soit vray, il y a un fort grand intervalle, entre la notion generale du Ciel et de la Terre, que i’ay tasché de donner en mes Principes, et la reconnoissance particuliere de la Nature de l’Homme, de laquelle ie n’ay point encore traitté. Toutesfois afin qu’il ne semble pas que ie veüille vous détourner de vostre dessein, Ie vous diray en confidence, que la notion telle quelle de la Physique que i’ay tasché d’acquerir, m’a grandement servy pour établir des fondemens certains en la Morale ; et que ie me suis plus aisement satisfait en ce point, qu’en plusieurs autres touchant la Medecine, ausquels i’ay neantmoins employé beaucoup plus de temps. De façon AT IV, 442 qu’au lieu de trouver les moyens de conserver la vie, i’en ay trouvé un autre bien plus aisé et plus sur, qui est de ne pas craindre la mort ; sans toutesfois pour cela estre chagrin, comme sont ordinairement ceux dont la sagesse est toute tirée des enseignemens d’autruy, et appuyée sur des fondemens qui ne dépendent que de la prudence et de l’autorité des hommes. Ie vous diray de plus que pendant que ie laisse croistre les plantes de mon jardin dont i’attens quelques experiences pour tascher de continuer ma Physique, Ie m’arreste aussi quelquefois à penser aux questions particulieres de la Morale. Ainsi i’ay tracé cet hyver un petit Traitté de la Nature des Passions de l’Ame, sans avoir neantmoins dessein de le mettre au jour, et ie serois maintenant d’humeur à écrire encore quelque autre chose, si le dégoust que i’ay de voir combien il y a peu de personnes au monde qui daignent Clerselier I, 103 lire mes écrits ne me faisoit estre negligent. Ie ne le seray iamais en ce qui regardera vostre service : Car ie suis de cœur et d’affection, etc.