MON REVEREND PERE,
La perte des Lettres que ie vous avois écrites vers la fin du mois de Novembre, me fait croire qu’elles ont esté retenuës exprés par quelque Curieux qui a trouvé moyen de les tirer du Messager, et qui sçavoit peut-estre que i’avois eu dessein de vous envoyer mon Traitté environ ce temps-là ; en sorte que si ie l’eusse envoyé il auroit esté en grand hazard d’estre perdu. Il me souvient aussi que i’avois manqué auparavant de recevoir quatre ou cinq de vos Lettres ; ce qui nous doit avertir de ne rien écrire que nous ne veüillions bien que tout le monde sçache ; et en cas que nos Lettres fussent de quelque importance, il faudroit les envoyer dans le paquet d’un Marchand ; car ceux qui les retiennent connoissent sans doute nos Ecritures. Ie demeure maintenant icy a Amsterdam, d’où i’auray moyen de recevoir plus souvent, et peut-estre plus surement de vos nouvelles, que lors que i’estois à AT I, 293 Deventer ; Et ie vous prie, si-tost que vous aurez reçû celles-cy, de vouloir prendre la peine de me faire réponse, afin que ie sçache si elles n’auront point esté perduës. Ie vous remercie de l’experience que vous avez fait faire avec une harquebuse, mais ie ne la iuge point suffisante pour en tirer quelque chose de certain, n’estoit qu’on la fist avec une grande piece de batterie qui portast une balle de fer de trente ou quarante livres, car le fer ne se fond pas si aisément que le plomb ; et une bale de cette grosseur seroit aisée à trouver en cas qu’elle tombast. Or afin de faire cette experience bien exacte, il faudroit tellement planter la piece qu’elle ne pûst reculer que perpendiculairement de haut en bas ; et à cét effet Clerselier II, 499 il faudroit faire une fosse au dessous d’elle, et la tenir suspenduë en l’air entre deux anneaux ou cercle de fer, par le moyen de quelques contrepoids assez pesans. Comme si la piece est AIB, les anneaux F et G, le plan de la Terre sur laquelle ils sont appuyez DE, la fosse C, les contrepoids LL, qui soûtiennent la piece par le moyen des cordes IKL, passées autour des AT I, 294 poulies KK, en sorte que reculant de B vers C, les contrepoids soient contraints de se hausser, à quoy il y a bien plus de façon qu’à tirer simplement des coups d’harquebuse. Pour vos questions ie veux bien tâcher d’y répondre autant que i’en pourray estre capable, afin de vous convier dautant plus à m’excuser de ce que ie ne vous ay pû tenir promesse en autre chose.
Premierement donc pour la cause de l’arc qui retourne, il faut considerer qu’il y a plusieurs pores en tous les Cors que nous voyons, et que ces pores ne sont pas vuides, mais remplis d’une certaine matiere tres-subtile qui ne peut estre veuë, et qui se meut tousiours grandement viste, en sorte qu’elle passe facilement au travers de ces pores, en mesme façon que l’eau d’une riviere, au travers des trous d’une nasse, ou d’un panier. Et cela posé il est aisé à entendre que les Cors qui retournent estans pliez, sont ceux dont les pores se changent en telle façon lors qu’on les plie, que cette matiere subtile ne peut plus si facilement passer au travers qu’auparavant ; d’où vient qu’elle fait effort pour les remettre en leur Clerselier II, 500 premier estat ; Et cecy peut arriver en plusieurs façons, comme si on imagine que les pores d’un arc qui n’est point bandé sont aussi larges à l’entrée qu’à la sortie, et qu’en les bandant on les rend plus étroits à la sortie, il est certain que la matiere subtile, qui entre dedans par le costé le plus large, fait effort pour en ressortir par l’autre costé qui AT I, 295 est plus étroit. Et tout de mesme si l’on imagine que les pores de cét arc estoient ronds avant qu’il fust plié, mais qu’aprés ils sont en ovale, et que les parties de la matiere subtile qui doivent passer au travers sont rondes aussi ; il est évident que lors qu’elles se présentent pour entrer en ces trous ovales, elles font effort pour les rendre ronds, et par consequent pour redresser l’arc, dautant que l’un dépend de l’autre. Mais si ie voulois prouver exactement que cette matiere subtile se trouve ainsi parmy les autres Cors, et qu’elle se meut avec assez de force pour causer un effet si violent, il faudroit que i’expliquasse toute ma Physique.
Pour vos Musiciens qui nient qu’il y ait de la difference entre les demy tons, c’est ou par desir de contredire, ou par ce qu’ils ignorent le moyen d’en examiner la verité ; Mais si i’estois auprés d’eux, i’oserois bien entreprendre de leur faire avoüer, s’ils n’avoient l’oreille extremement dure. Qu’ils marquent seulement une sexte mineure AC, BC, sur un Monocorde, la plus iuste qu’ils pourront, et par aprés qu’ils y mettent aussi deux tierces majeures consecutives AC, DC, et DC, EC, et ie m’assure qu’encore que les deux tierces contiennent huit demy tons, aussi bien que la sexte, toutesfois le point E, ne sera pas du tout si avancé AT I, 296 vers C que le point B, et l’intervale EB est la difference des demy tons.
Quand à la difficulté que vous proposez, pour prouver que les consonantes ne dependent point des tremblemens de l’air qui battent l’oreille selon certaines proportions, elle Clerselier II, 501 vient de ce que vous cousiderez ces temblemens, comme si la corde AB, par exemple, alloit en ligne droite depuis C iusques à D, puis de là qu’elle retournast aussi en ligne droite depuis D iusques à C, au lieu qu’il faut penser qu’elle va circulairement autour du point I, et ainsi qu’elle n’est point davantage au commencement de ces tours et retours estant en un lieu qu’estant en un autre, et que la corde EF, qui luy est à l’unisson ne laisse pas de mouvoir l’air de mesme vitesse qu’elle, encore qu’elle soit tirée de G vers H, au mesme instant que AB est au point D, pour aller vers C. Et c’est la vitesse dont tout le Cors de l’air est ainsi ébranlé qui fait que les petites secousses dont il frappe l’oreille sont plus ou moins frequentes, et par consequent rendent un son plus ou moins aigu, et non point le temps auquel on a commencé à mouvoir les cordes AB, et EF. Pour les differens tons qui viennent d’une mesme corde en mesme temps, ie n’en sçay point d’autre cause, sinon celle que ie pense vous en avoir desia écrit par AT I, 297 cy-devant, à sçavoir que pendant que la corde AB se meut toute entiere de C vers D, ses parties peuvent avoir quelques-autres mouvemens moins sensibles, qui rencontrans desia tout le Cors de l’air ébranlé selon certaine vitesse par le mouvement principal de cette corde, ne peuvent que doubler, ou tripler, ou quadrupler, ou quintupler les battemens qu’il cause dans l’oreille ; et ainsi font entendre l’octave, la 12. la 15. et la 17. Ce qui peut aussi s’attribuer au Cors de l’air ; à sçavoir, qu’estant mû tout entier de certaine façon par cette corde, ses parties redoublent, ou triplent, etc. leurs mouvemens ; Et si cela est, ces diverses resonnances se doivent beaucoup mieux appercevoir en temps sec qu’en temps de pluye. Mais ie ne iuge point qu’il y ait Clerselier II, 502 rien en cecy qui vaille la peine que vous vous en serviez en quelque Traitté ; Toutesfois vous avez pouvoir d’en faire ce qu’il vous plaira, ie vous prie seulement que ce soit sans faire mention de mon nom.
Il est certain que la mesme bale estant poussépoussée de mesme vitesse doit aussi continuer son mouvement en mesme sorte, encore qu’une fois elle soit poussée avec un pistolet, et l’autre fois avec une arbaleste, ou une fronde, si ce n’est entant que le vent de la poudre à canon y cause de la difference. Si l’on iette une bale perpendiculairement de bas en haut, le mouvement imprimé en elle par cette action finira au moment qu’elle commencera de redescendre ; Mais si on la iette un peu à costé du Zenith, AT I, 298 comme de A vers B, et qu’elle redescende suivant la ligne BCD, en sorte que BC soit une ligne courbe et CD une ligne droite, il ne finira qu’au point C, et si toute la ligne BCD est courbe, il ne finira point iusqu’à terre. Et si vous poussez une bale de haut en bas, son mouvement imprimé par vostre action ne finira point, qu’elle ne soit du tout arrestée par la Terre, ou qu’elle n’ait passé bien loin au delà de son Centre. Une bale iettée de A en C, et de A en E, décrit bien deux lignes ABC, et ADE, qui sont de mesme genre ; mais non pas pour cela toutes semblables, ny de mesme espece ; Et ie n’ay encore iamais examiné quelles lignes se peuvent estre.
Ie seray bien-aise d’entendre l’histoire de M. Morin ; Et puisque vous avez veu le livre de Galilée, ie vous prie aussi de me mander ce qu’il contient, et quels vous iugez Clerselier II, 503 avoir esté les motifs de sa condamnation. Ie vous prie aussi de me mander le nom de ce Traitté que vous dites avoir esté fait depuis par un Ecclesiastique pour prouver le mouvement de la Terre, au moins s’il est imprimé, et s’il ne l’est pas, ie pourrois peut- estre bien donner quelque avis AT I, 299 à l’Autheur, qui ne luy seroit pas inutile. Ie suis,