MON REVEREND PERE,
Ie ne sçay comment vous dattez vos Lettres, mais i’en ay receu une il y a huit iours du deuxiéme Février et auiourd’huy une autre du premier, en laquelle il y en avoit une autre de Monsieur Picot ; et il y a quinze iours que M. de Zuitlichen m’a envoyé le dessein des Iardins, duquel ie vous remercie, et i’en remercie aussi tres-humblement Monsieur Hardy, qui comme i’apprens par vostre Lettre en a daigné prendre le soin en l’absence de Monsieur Picot : Quand nous aurons AT III, 632 encore l’autre dessein que vous me faites esperer, nous en aurons autant que nous en desirons. Mais ie vous prie de sçavoir de ceux qui les ont faits, qui sont le Iardinier de Luxembourg et celuy des Tuilleries, à quel prix ils les mettent, et leur dire qu’ils n’en prennent point d’argent que de vous ; car si-tost que ie sçauray ce qu’il leur faut, ie ne manqueray de vous l’envoyer ; ou bien si M. Picot les a desia payez, ie seray bien aise de sçavoir ce que ie luy dois pour cela.
L’Eau monte le long d’une lisiere de drap tout de mesme que dans un tuyau courbé ; Car on trempe premierement fort ce drap dans l’eau, et il ne pourroit servir de philtre sans cela ; mais les parties exterieures de l’eau dont il est moüillé s’engagent tellement entre ses filets, qu’elles y font comme une petite peau par laquelle l’air ne peut entrer, et cependant les interieures se suivant les unes les autres, coulent vers le costé du drap qui descend le plus bas en mesme façon que dans un tuyau. Mais si vous demandez comment le mesme arrive dans un tuyau, il faut seulement considerer Clerselier II, 507 que n’y ayant point de vuide, tous les Mouvemens sont Circulaires, c’est à dire, que si un Cors se meut, il entre en la place d’un autre, et cettuy-cy en la place d’un autre, et ainsi de suite ; en sorte que le dernier entre en la place du premier, et qu’il y a tout un Cercle de Cors qui se meut en mesme temps. Comme quand le tuyau ABC est tout plein d’eau des deux costez, il est aisé à en tendre que cette eau doit descendre par C, en considerant tout le Cercle AT III, 633 ABCD, dont la partie ABC, est composée d’eau, et l’autre CDA est composée d’air, et dont toutes les parties se meuvent ensemble ; Car y ayant plus d’eau en la moitié de ce cercle BCD, qu’en l’autre moitié BAD, il doit tourner suivant l’ordre des Lettres ABC, plutost que suivant l’ordre des lettres CBA, au moyen dequoy l’eau coule par C. Car chaque goute de cette eau estant sortie du tuyau descend tout droit vers E, et il va de l’air en sa place pour parfaire le Cercle du Mouvement, lequel air va dans la partie du tuyau AB. Mais ce n’est pas de mesme d’une apreste de pain, ny du sucre, dans lesquels l’eau monte à cause que ses parties sont en perpetuelle agitation, et que leurs portespores sont tellement disposez, que l’air en sort plus aisément qu’il n’y rentre, et l’eau au contraire y entre plus aisément qu’elle n’en sort, ainsi que monte un épy de plé le long du bras, quand on le met en sa manche la pointe en bas.
Ie ne suis pas curieux de voir les écrits de l’Anglois. I’ay eu icy quelques iours les Epistres de M. Gassendy, mais ie n’en ay quasi lû que l’Index qu’il a mis au commencement, duquel i’ay apris qu’il ne traitoit d’aucune matiere que i’eusse besoin de lire. AT III, 634 Il me semble que vous m’avez autrefois mandé qu’il a la bonne Lunette de Galilée, ie voudrois bien sçavoir si elle est si excellente, que Galilée a voulu faire Clerselier II, 508 croire, et comment paroissent maintenant les Satellites de Saturne par son moyen.
Ie vous remercie de l’experience de l’air pezé dans une arquebuse à vent lors qu’il y est condensé ; mais ie croy que c’est plutost l’eau meslée parmy l’air ainsi condensé, qui peze tant, que non pas l’air mesme.
Pour les boules de mail dont vous parlez en vostre autre Lettre du 10. Février, vostre premiere difficulté est sur ce qu’une petite boule de mail estant frapée par une plus grosse, il arrive souvent que le mouvement de cette plus grosse s’amortit, et que l’autre va par aprés assez viste. Mais la raison en est aisée, et ne repugne aucunement à ce que i’ay écrit cy-devant ; car elle depend de ce que ces boules ne sont point parfaitement dures, ny le plan où elles sont parfaitement uny, qui sont deux choses que i’avois exceptées.
Soit donc la boule B arrestée sur le plan D, où elle est un peu enfoncée dans le sable, et considerons premierement que la boule A venant vers elle avec grande vitesse la touche au point I, qui est plus haut que son Centre, ce qui est cause qu’elle ne la chasse pas incontinent vers E, mais plustost qu’elle l’enfonce AT III, 635 encore plus avant dans le sable D, et que cependant l’une et l’autre de ces boules se replient un peu en dedans, ce qui fait perdre le mouvememement de la boule A, iusques à ce que B estant pressée entre A et le plan D, en sorte avec force, ainsi qu’un noyau de cerise pressé entre les deux doigts, ce qui luy donne beaucoup de vitesse. Et si A perd toute sa force avant que B puisse sortir du lieu où elle est, les parties de ces deux boules estant repliées en dedans au point où elles s’entretouchent, tendent à se remettre comme un arc en leur premiere figure, au moyen dequoy elles chassent A vers H, et B vers E, mais B plus viste que A à cause qu’il est plus aisé à mouvoir ; Et B estant chassé avant que A ait perdu toute sa force, il arrivera que la boule A ira encore vers E, mais plus Clerselier II, 509 lentement, ou bien qu’elle s’arrestera tout à fait.
Il est certain que le noyau de Cerise qui sort d’entre les doigts se meut plus viste que ces doigts, à cause qu’il en sort obliquement. Et quand on dit que le Cors qui en meut un autre doit avoir autant de vitesse qu’il en donne à cét autre, cela ne s’entend que des mouvemens en mesme ligne droite. Mais ie voy en tout cecy que vous ne distinguez pas le mouvement de la vitesse, et que vos difficultez ne viennent que de là : Car bien que le noyau de Cerise ait plus de vitesse que les doigts qui le chassent, il n’a pas toutefois autant de mouvement ; Et la boule A estant quadruple de B, si elles se meuvent ensemble, l’une a autant de vitesse que l’autre, mais la quadruple a quatre fois autant de mouvement. AT III, 636 Pour l’opinion de ceux qui croyent que plus on est de temps à imprimer le mouvement, plus ce mouvement est grand, elle n’est veritable que lors qu’au regard de ce temps, le Corps mû acquiert une plus grande vitesse ; Car s’il se meut également viste, il a tousiours autant de mouvement par quelque cause que ce mouvement ait esté imprimé en luy ; Et l’on ne sçauroit ietter de la main une bale aussi loin qu’avec un pistolet, si ce n’est qu’on l’éleve plus haut, à cause que le jet horizontal du pistolet ne va pas si loin, que le jet de 30. ou 45. degrez fait avec la main. Enfin l’impression et le mouvement et la vitesse considerez en un mesme Corps, ne sont qu’une mesme chose ; Mais en deux Corps differens le mouvement ou l’impression sont differens de la vitesse : Car si ces deux Corps font autant de chemin l’un que l’autre en mesme temps, on dit qu’ils ont autant de vitesse ; Mais celuy qui contient le plus de matiere, soit à cause qu’il est plus solide, soit à cause qu’il est plus grand, a besoin de plus d’impression et de mouvement pour aller aussi viste que l’autre. Mais il ne se trouve point de Medium qui n’empesche le mouvement des Corps, si ce n’est pour certaine vitesse seulement, et ainsi on ne le peut suposer au regard de divers Corps, comme un de moëlle de Sureau, et l’autre de Clerselier II, 510 plomb, car le Medium qui ne resiste point à l’un resiste necessairement à l’autre.
Au reste i’ay à me plaindre de vous de ce que voulant sçavoir mon opinion touchant les jets d’eau, vous vous estes adressé à M. de Zuytlichen plûtost qu’à AT III, 637 moy, comme si vous n’aviez pas autant ou plus de pouvoir sur moy qu’aucun autre. Il y a quatre ou cinq iours que ie luy en ay mandé assez au long mon opinion, vous verrez si elle vous satisfera ;
AT III, 673 Ie vous remercie de l’invention du Pere Grand Amy pour faire une aiguille qui ne decline point, et la raison me persuade qu’elle doit beaucoup moins decliner que les autres, mais non pas qu’elle ne doit point du tout decliner ; Ie seray bien aise d’en apprendre l’experience afin de voir si elle s’accordera avec mes raisons, ou plûtost mes conjectures ; Qui sont que la vertu de l’Ayman qui est en toute la masse de la terre, se communique en partie suivant la superficie des Poles vers l’équateur, et en partie aussi suivant des lignes qui viennent du centre vers la circonference : Or la declinaison de l’aiguille parallele à l’horizon est causée par la vertu qui se communique suivant la superficie de la Terre, à cause que cette superficie estant inégale, cette vertu y est plus forte vers un lieu que vers un autre. Mais l’aiguille qui regarde vers le centre estant principalement tournée vers le Pole par la vertu qui vient de ce centre ne reçoit aucune declinaison, et elle ne declineroit point du tout, si la vertu qui vient de la superficie n’agissoit aussi quelque peu contre elle.
AT III, 674 L’experience du poids qui va du Midy au Septentrion est fort remarquable, et s’accorde fort bien avec mes speculations, touchant le flux et le reflux ; Mais ie voudrois sçavoir de combien de pieds le filet a esté long auquel ce poids a esté suspendu, afin de sçavoir si i’en pourrois faire icy l’experience ; car ie iuge qu’il doit avoir esté fort long. Ie voudrois aussi sçavoir le temps qu’il va vers le Nord ou vers le Midy ; Si mes conjectures sont bonnes, ce doit estre environ le temps que la Lune s’approche ou se recule de nostre Meridien.
Clerselier II, 511 M. Hardy me demande ce qu’a cousté un Ciceron, ce que ie n’ay pas daigné luy écrire, car c’est si peu de chose que cela n’ent vaut pas la peine ; toutesfois s’il le veut sçavoir à toute force, vous luy pourrez dire qu’il a cousté douze francs et demy, (ce qu’il rendra s’il vous plaist à vostre Portier, pour payer le port des Lettres dont ie vous charge), afin qu’il soit plus AT III, 675 libre à m’employer une autrefois, que peut estre il ne seroit, si ie refusois de luy faire sçavoir ce qu’a cousté ce Livre. Ie suis,