Clerselier II, 540 AT III, 805

A MONSIEUR ****.

LETTRE CXV.

MONSIEUR,
I’ay differé de répondre à la question que vous m’avez fait l’honneur de me proposer, afin de rendre veritable l’opinion que le R. P. Mersenne a eu de moy, à sçavoir que i’y répondrois en vostre consideration le plus exactement que ie pourrois. Et pource que ie ne me fie gueres aux AT III, 806 experiences que ie n’ay point faites moy-mesme, i’ay fait faire un tuyau de douze pieds pour ce sujet, mais i’ay si peu de mains, et les Artisans font si mal ce qu’on leur commande, que ie n’en ay pû apprendre autre chose, sinon que pour faire sauter l’eau aussi haut que dit le P. Mersenne, le trou par où elle sort ne doit avoir qu’environ le Diamettre d’une Ligne : En sorte que s’il est plus estroit ou plus large, elle ne saute pas si haut. Surquoy i’ay fondé les raisonnemens que vous verrez icy, et qui me semblent si vrais que si ie pensois que le mouvement perpetuel d’Amsterdam le fust autant, ie ne douterois point que celuy qui en est l’Autheur n’eust bien-tost trouvé les 15. ou 20. chetifs millions d’escus, dont ie crains qu’il n’ait encore besoin pour l’achever.

AT III, 605 La Lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, AT III, 606 m’eût mis en doute que vous seriez peut-estre allé à Groningue, mais cela m’a fait differer iusques à ce iour, que i’ay veu M. H. qui m’a dit qu’il ne doutoit point que vous ne fussiez encore à B. iusques en May ; ainsi vous recevrez s’il vous plaist la copie des trois premieres feüilles de ce qui s’imprime contre vous, car puis que vous ne les aviez point encore veuës il y a un mois, ie iuge que vous ne les avez pas vuës depuis. Clerselier II, 541 On m’a mandé qu’il est impossible d’en tirer aucune copie du Libraire, et mesme l’on m’a redemandé avec tant d’instance l’imprimé de ces trois feüilles, que i’ay gardé icy quelques semaines entre mes mains, qu’il me l’a fallu renvoyer, et il ne m’en est resté que cette copie, laquelle ie vous prie de ne point faire voir à d’autres, à cause que ie ne voudrois pas qu’on en reconnust l’écriture, ny qu’on sceust d’où elle m’est venuë ; et ie vous puis dire en verité que ie ne le sçay pas moy-mesme. Si vous avez dessein d’y répondre, il est bon que vous voyez dés à present le biais qu’on a pris à vous attaquer : Ces trois feüilles estoient in octavo, et sont venuës de ie ne sçay où ; mais depuis on a retiré soigneusement tous les exemplaires, et on l’imprime maintenant in duodecimo chez un autre Libraire que celuy de l’Université, où s’imprime aussi le livre contre moy, sans que ie sçache la cause de ce changement, sinon que ie conjecture de là que Messieurs de la Ville ne veulent pas authoriser cette impression. I’ay appris que ce livre contre vous contiendra environ vingt feüilles, ce que i’admirerois, AT III, 607 si ie pensois que l’Autheur n’y voulust mettre que de bonnes choses, mais sçachant combien il est abondant en ce genre d’écrire, ie ne m’en estonne aucunement. Ie ne puis encore assurer ce que ie feray, à cause que ie ne veux rien determiner, que ie n’aye veu la conclusion du livre contre moy, et on m’assure qu’il ne s’achevera point, que celuy qui est contre vous ne soit publié. Mais à cause que ie croy qu’ils se suivront l’un l’autre de fort prés, mon opinion est que i’employeray deux ou trois pages en ma réponse, pour dire mon avis de vostre different, puis que vous ne l’avez pas desagreable ; et ce qui m’y oblige le plus, est, que ce que i’écriray sera publié en Latin, et en Flamand, car ie croy qu’il est à propos que le peuple soit desabusé de la trop bonne opinion qu’il a de cét homme.

Clerselier II, 542 AT III, 806 Soit le tuyau AB long de quatre pieds, dont la quatriéme partie est BF. On a trouvé par experience que lors qu’il AT III, 807 est plein d’eau iusques au haut, son jet horisontal est BD, et lors qu’il n’est plain que iusques à F, ce jet horisontal est BC, en sorte que BH estant perpendiculaire à l’horison, HD est double de HC. On a trouvé aussi que le jet vertical de B vers A, est de huit pouces, lors que ce tuyau n’est plain que iusqu’à F. Mais qu’il est de trois pieds et lors que ce tuyau est tout plain, et on en demande la raison.

Sur quoy ie considere que la nature du mouvement est telle, que lors qu’un Cors a commencé à se mouvoir, cela suffit pour faire qu’il continuë toûjours aprés avec mesme vi Clerselier II, 543 tesse, et en mesme ligne droite, iusques à ce qu’il soit arresté, ou détourné par quelqu’autre cause.

Ie considere aussi touchant la pesanteur, qu’elle augmente la vitesse des Cors qu’elle fait descendre, presque en mesme raison que sont les temps, pendant lesquels ils descendent ; en sorte que si une goute d’eau descend pendant deux minutes d’heures, elle va presque deux fois aussi viste à la fin de la seconde, qu’à la fin de la premiere ; d’où il suit que le chemin qu’elle fait, est presque en raison double du temps ; c’est à dire, que si pendant la premiere minute elle descend de la hauteur d’un pied, pendant le premiere et la seconde ensemble elle doit descendre de la hauteur de quatre pieds. Ce qui s’explique aisement par le triangle ABC, dont le costé AD, AT III, 808 represente la premiere minute, le costé DE, la vitesse qu’a l’eau à la fin de cette premiere minute, et l’espace ADE, represente le chemin qu’elle fait cependant, qui est de la longueur d’un pied. Puis DB represente la seconde minute, BC, la vitesse de l’eau en cette seconde minute, qui est double de la precedente, et l’espace DECB, le chemin, qui est triple du precedent. Et on y peut aussi remarquer, que si cette goutte d’eau continuoit à se mouvoir vers quelqu’autre costé, avec la vitesse qu’elle a acquise par sa descente d’un pied de haut, pendant la premiere minute, sans que sa pesanteur luy aidast aprés cela, elle feroit pendant une minute le chemin representé par le Rectangle DEFB, qui est de deux pieds. Mais si elle continuoit à se mouvoir pendant deux minutes, avec la vitesse qu’elle a acquise en descendant de quatre pieds, elle feroit le chemin representé par le Rectangle ABCG, qui est de huit pieds.

Clerselier II, 544 De plus, ie considere que puis qu’une goute d’eau aprés estre descenduë quatre pieds, a le double de la vitesse qu’elle a n’estant descenduë que d’un pied, l’eau qui sort par B du tuyau AB, en doit sortir deux fois aussi viste quand il est tout plein, que quand il n’est plein que iusques à F. Car il n’y a point de doute que les premieres goutes de cette eau ne sortent aussi viste que les suivantes, pourveu qu’on suppose AT III, 809 que le tuyau demeure tousiours cependant également plein : Et si on prend garde que lors que l’eau sort de ce tuyau par le trou B, il n’est pas besoin que toute celle qu’il contient se meuve pour ce sujet, mais seulement que toutes les goutes qui composent un petit Cylindre, dont la base est le trou B, et qui s’étend iusques au haut du tuyau, descendent l’une apres l’autre, on concevra aisément, que la goute qui est au point A, estant parvenuë iusques à B, aura acquis en descendant d’A iusques à B, le double de la vitesse qu’elle auroit acquise, si elle n’estoit descenduë que d’F. Et par consequent que lors qu’elle sort par B, elle se meut deux fois aussi viste, quand le tuyau est plein à la hauteur de quatre pieds, que quand il n’est plein qu’à la hauteur d’un pied, et que c’est le mesme de toutes les autres, puis qu’elles se meuvent toutes de mesme force. En suite de quoy ie remarque aussi que les Cylindres d’eau, ou de quelqu’autre matiere que ce soit, dés le premier moment qu’ils commencent à descendre, se meuvent dautant plus Clerselier II, 545 viste, qu’il sont plus longs, en raison sous-double de leur longueur, c’est à dire, qu’un Cylindre de quatre piez aura deux fois autant de vitesse, qu’un d’un pié, et un de neuf piez en aura trois fois autant ; et le mesme se peut entendre à proportion de tous les autres Cors, que plus qu’ils ont de Diamettre, selon le sens qu’ils descendent, plus ils descendent viste. Car lors que la premiere goute d’eau sort par le trou B, tout le Cylindre d’eau FB, ou AB, descend en mesme temps, et cettuy-cy descend deux fois plus AT III, 810 viste que celuy-là : Ce qui ne trouble point les proportions du Triangle que i’ay tantost proposé, mais seulement au lieu de le considerer comme une simple superficie, on luy doit attribuer une épaisseur comme AI, ou BK, qui represente la vitesse qu’a chaque Cors, au premier moment qu’il commence à descendre ; En sorte que si ce Cors est un Cylindre, qui ait quatre piez de longueur, il faut faire le costé A I deux fois aussi long, que si ce Cylindre n’avoit qu’un pied ; et penser que pendant tout le temps qu’il descend, il fait tousiours deux fois autant de chemin ; Et c’est le mesme d’une goute d’eau, dont le Diamettre est quadruple d’une autre, à sçavoir qu’elle descend deux fois aussi viste que cette autre. Enfin ie considere touchant la Nature de l’eau, que ses parties ont quelque liaison entr’elles, qui fait qu’elle ne peut passer par un trou fort étroit, sans perdre beaucoup de sa vitesse, et qui fait aussi qu’elles ramassent en petites boules toutes rondes, plus ou moins grosses, à raison des mouvemens qui les divisent ou qui les rejoignent, mais qui ne passent pas toutesfois certaine grosseur ; et que si le trou B est assez étroit, bien que l’eau en sorte en forme d’un petit Cylindre, ce Cylindre se divise incontinent apres en plusieurs goutes, qui sont plus ou moins grosses, selon que le trou est plus ou moins large, bien que cela ne paroisse à l’œil, que Clerselier II, 546 lors qu’elles se meuvent assez lentement, car allant fort vîte elles semblent tousiours estre un Cylindre. I’adjoûterois aussi que les proportions que i’ay tantost determinées ne sont pas iustes, à cause que l’action de la pesanteur diminuë à mesure que AT III, 811 les Cors se meuvent plus viste, et aussi à cause que l’air leur resiste davantage : Mais ie croy que la difference que cela peut causer en la descente de l’eau dans un tuyau de quatre ou cinq piez, n’est gueres sensible. Ces choses posées, ie calcule ainsi le jet horizontal du tuyau AB. Puisque chaque goute d’eau sort deux fois aussi vîte par le trou B, quand le tuyau est tout plein, que quand il n’est plein que iusques à F, estant conduite de B vers E, par la situation de ce trou, elle doit continuer par aprés à se mouvoir deux fois aussi viste en ce sens-là ; De façon que si par ce mouvement elle arrive par exemple au point E, au bout d’une minute, quand le tuyau est tout plein, elle arrivera iustement au point N. qui est la moitié de la ligne BE, au bout de la mesme minute, si le tuyau n’est plein que iusques à F ; Mais avec cela elle a aussi un autre mouvement que luy donne sa pesanteur, et qui fait que pendant cette minute elle descend de la longueur de la ligne BH, sans que la vitesse ou tardiveté de son premier mouvement change rien en cetuy-cy : C’est pourquoy ces deux mouvemens la feront arriver au point D, au bout d’une minute, quand le tuyau est tout plein, et au point C, quand il n’est plein que iusques à F ; Et mesme, à cause que la pesanteur luy fait faire plus de chemin, pendant les dernieres parties de cette minute, que Clerselier II, 547 pendant les premieres, et ce en raison double des temps ; de là vient que les lignes BC et BD ne sont pas droites, mais ont la courbure d’une Parabole, ainsi que Galilée a fort bien remarqué. Et ie ne voy rien qui puisse changer sensiblement cette proportion double du jet horizontal, sinon que peut-estre le trou B estant fort étroit, oste davantage de la vitesse de l’eau, quand elle ne vient que d’un pied de haut, que quand elle vient de quatre pieds ; Et ainsi AT III, 812 peut rendre la ligne HC plus courte que CD ; dequoy ie n’ay point fait toutefois d’experience.

Ie calcule aussi le jet vertical, en considerant les deux mesmes mouvemens en chaque goute d’eau, à sçavoir celuy de la vitesse que luy donne la hauteur du lieu d’où elle vient, lequel la fait monter également de bas en haut, avec celuy de sa pesanteur qui la fait cependant descendre inégalement de haut en bas ; en sorte qu’elle monte tousiours pendant que la vitesse que luy donne sa pesanteur, est moindre que celle de son autre mouvement ; Mais qu’elle commence à redescendre, si-tost que cette vitesse surpasse l’autre ; et que le plus haut point iusques auquel elle monte, est celuy où elles sont égales. Ainsi donc, quand le tuyau n’est plein que iusques à F, elle a en sortant par le trou B, la vitesse representée cy-dessus par la ligne DE, laquelle estant conduite de B vers A, par la situation du trou, luy fait faire en montant pendant une minute le chemin representé par le parallelogramme DEFB, qui est de deux pieds ; Mais pendant cette mesme minute, sa pesanteur luy fait faire en descendant le chemin representé par le Triangle ADE, qui est d’un pied, lequel estant déduit des deux piez qu’elle monte, il reste encore un pied dont elle se trouve haussée, pendant cette minute, au bout de laquelle sa pesanteur luy donne iustement la vitesse representée par la ligne DE, c’est-à-dire, égale à son autre vitesse qui la faisoit monter, et elle l’augmente tousiours par aprés ; C’est pourquoy elle ne peut monter plus haut qu’un pied, mais elle peut bien ne monter pas du tout si haut, pour d’autres raisons. Clerselier II, 548 Tout de mesme, quand le Tuyau de AT III, 813 quatre pieds est tout plein, chaque goute d’eau qui en sort par le trou B, montant également avec la vitesse representée par la ligne BC, fait en deux minutes le chemin representé par le parallelogramme ABCG, qui est de huit pieds ; et pendant ces deux mesmes minutes, sa pesanteur luy fait faire en descendant le chemin representé par le Triangle ABC, qui est de quatre pieds, lesquels estant déduits dés huit qu’elle monte, il en reste quatre, dont elle se trouve haussée pendant ces deux minutes, au bout desquelles, sa pesanteur luy donne iustement la vitesse representée par la ligne BC, de façon qu’elle cesse de monter ; et par ce calcul le jet vertical se trouve tousiours égal à la hauteur que l’eau a dans le tuyau. Mais il en faut necessairement rabatre quelque chose, à cause de la Nature de l’eau : Car on peut faire le trou B si étroit, que l’eau perdant quasi toute sa vitesse en passant par dedans, ne jaillira qu’à la hauteur d’un pied ou deux, quand le tuyau sera tout plein, et qu’elle ne jaillira qu’un pouce ou deux, ou mesme point du tout, mais coulera seulement goutte à goutte quand il ne sera plein que iusques à F. Comme au contraire, on le peut faire si large, que chaque goutte d’eau qui en sort, estant fort grosse, ou mesme toute l’eau estant jointe ensemble comme une masse, aura une pesanteur beaucoup plus grande, que celle que i’ay supposée en ce calcul, proportionnée à la vitesse dont elle monte, ce Clerselier II, 549 qui l’empeschera de monter si haut. Et au lieu que l’autre raison diminuë plus le jet d’un pied, que celuy de quatre pieds, celle cy diminuë l’un et l’autre en mesme proportion ; et si on fait le trou de mediocre grandeur, bien que chacune de ces deux raisons agisse moins, elles ne laissent pas d’agir fort sensiblement, à cause qu’elles concourent toutes deux ensemble, à diminuer AT III, 814 la hauteur des jets : d’où ie conclus, qu’en l’experience proposée, où le jet de quatre piez s’est trouvé de trois pieds et ou de trente-neuf pouces seulement, le jet d’un pied eust esté de neuf pouces et si la petitesse du trou B ne l’eust diminué d’un pouce et plus que l’autre. Il est aisé de calculer en mesme façon tous les autres jets d’eau, qui sont moyens entre le vertical et l’horizontal, et de trouver les lignes courbes qu’ils décrivent, mais on ne m’en a pas tant demandé.

AT III, 626 Premierement, pour le jet horizontal, ie ne considere autre chose sinon, que lors que le tuyau est tout AT III, 627 plein, l’eau en sort communement deux fois aussi viste par le trou B, que lors qu’il n’est plein que iusques à F, et que le mouvement qu’elle a en sortant ainsi par ce trou, la porte de BH vers ED, ou NC, sans empescher celuy de sa pesanteur, qui la porte de BE vers HD. D’où il est evident que puis que l’eau employe autant de temps à descendre de BE iusques à HD, qu’elle fait à aller de BH jusques à NC, en sorte que ces deux mouvemens joints ensemble la portent de B à C ; lors qu’il sera tout plein elle ne doit employer ny plus ny moins de temps qu’auparauant à descendre de BE iusques à HD, à cause qu’elle n’a que la mesme pesanteur ; mais que pendant ce mesme temps, elle doit aller deux fois aussi loin de BH vers ED, à cause qu’elle se meut deux fois aussi viste en ce sens-là, et ainsi que ces deux mouvemens la doivent porter de B à D.

Puis, pour le jet vertical, ie considere en mesme façon, que la force dont l’eau sort par le trou B, la fait monter environ deux fois aussi viste de B vers A, quand le tuyau est Clerselier II, 550 tout plein, que quand il n’est plein que iusques à F, et que cependant sa pesanteur la fait descendre, sans que ces deux mouvemens se confondent. Mais ie considere outre cela que sa pesanteur ne la AT III, 628 meut pas tousiours également viste, et qu’elle augmente par degrez la vitesse qu’elle luy donne ; en sorte que si par exemple, en une minute de temps elle luy donne dix degrez de vitesse, en deux minutes elle luy en doit donner vingt. Cela posé, pour bien entendre l’effet de ses deux mouvemens, ie compare celuy qui fait monter chaque goute d’eau de B vers A, et qui n’est pas plus viste ny plus lent au commencement qu’à la fin, avec celuy dont on peut hausser le baston PQ vers R, et la pesanteur qui fait cependant descendre cette goute d’eau d’A, vers B, d’une vitesse inégale, et plus grande à la fin qu’au commencement, avec celuy qu’on peut imaginer qu’auroit une fourmy qui marcheroit le long de ce baston de P, vers Q, au mesme temps qu’on le hausseroit vers R. Car si cette fourmy descendoit tousiours de mesme vitesse le long de ce baston, et que sa vitesse fust égale à celle dont on hausseroit le baston, il est évident que ces deux mouvemens feroient que la fourmy demeureroit tousiours vis-à-vis du point B, et que si sa vitesse est moindre que celle du baston elle monterait tousiours vers R, et enfin que si sa vitesse estoit plus grande que celle du baston, elle descendroit tousiours au Clerselier II, 551 dessous de B. AT III, 629 Mais en la supposant inégale, en sorte que par exemple au premier pas que fait cette fourmy, elle n’a qu’un degré de vitesse, au second deux, au troisiéme trois, etc. pendant qu’elle se meut moins viste que le baston, il l’a fait tousiours hausser vers R, et au point où elle commence à se mouvoir plus viste, elle commence à descendre, comme fait aussi chaque goute d’eau. Maintenant, pour deviner quelle doit estre la proportion de ces deux mouvemens, pour faire que la fourmy augmentant tousiours sa vitesse de mesme façon, ne monte que iusques à huit pouces, pendant que le baston sera haussé lentement, et qu’elle monte iusques à trois pieds et, lors qu’il sera haussé deux fois aussi viste, ie me sers d’un peu d’Algebre ; et ie pose huit pouces plus x pour la ligne BL, à la hauteur de laquelle i’imagine qu’on éleve le baston PQ pendant une minute de temps ; pendant laquelle minute la fourmy descend de P vers Q, de la longueur de la ligne LK, que ie nomme x. en augmentant tousiours sa vitesse, en sorte qu’au bout de cette minute, elle descend iustement aussi viste que le baston monte, et incontinent aprés elle descend plus viste : C’est pourquoy elle ne monte point au delà du point R, que ie suppose estre éloigné de B, de huit pouces ; Apres cela ie raisonne ainsi, puisque le baston estant haussé lentement a monté à la longueur de huit pouces plus x, en une minute, lors qu’il sera haussé deux fois aussi viste, il doit monter seize pouces plus deux x, pendant une minute, et trente-deux pouces plus quatre x pendant deux minutes. AT II, 630 Et puis que la fourmy a employé une minute de temps, pour acquerir vne vitesse égale à celle dont le baston estoit haussé auparauant, et qu’elle est descenduë cependant de la longueur de la ligne x, elle doit employer deux minutes pour en acquerir une égale à celle dont il est meu maintenant, qui est double de la precedente, et pendant ces deux minutes, elle doit descendre à la longueur de quatre x : Car puisque sa vitesse s’augmente en Clerselier II, 552 cette façon elle doit faire trois fois autant de chemin en la seconde minute, qu’en la premiere. Ie suis,
MONSIEUR,
Vostre tres-humble, et tres- obeïssant
serviteur, DESCARTES.