AT III, 637

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE CXVI.

MON REVEREND PERE,
I’ay receu trois de vos Lettres depuis huit iours, dont l’une AT III, 638 est dattée du 15. Février, l’autre du 7. l’autre du 14. Mars. Vous me mandez en la premiere que le Pere Vatier vous a écrit que ie ne luy avois point fait de réponse, dont ie m’étonne ; car il y a environ deux mois que i’ay receu une Lettre de sa part, que vous mandiez ne sçavoir de qui elle venoit ; Ie vous envoyay au mesme voyage une Lettre pour luy, et vous manday que la Lettre que vous m’aviez envoyée venoit de sa part. Ie vous prie de tascher à vous souvenir si vous l’avez receuë, et me le mander. Il faudroit que ceux de Paris l’eussent retenuë sans luy envoyer, et ie crois que ie vous avois addressé aussi au mesme voyage des Lettres pour Renes, dont ie n’ay point eu aussi de réponse ; si ie pensois qu’elles n’eussent point esté addressées, il m’en faudroit écrire d’autres. Si vous voyez par hazard le Pere B. vous le pourrez assurer s’il vous plaist, que ie suis veritablement homme de parole, mais que ie ne sçache point luy avoir rien promis. Cette figure qui suit, sert pour le jet incliné sur l’horizon.

Clerselier II, 553 AT III, 640 Soit ABCD, une planche de bois, inclinée sur l’horison AE, ou BF de quarante-cinq degrez, laquelle on imagine estre haussée d’AB vers CD, toûjours d’une mesme vitesse, et qu’elle garde touiours cependant la mesme inclination, et que pendant qu’elle est ainsi haussée, il y a dessus une fourmy, qui AT III, 641 descend de C vers G, perpendiculairement sur l’horison, et marchant d’un pas inégal, et augmentant sa vitesse, en mesme raison que les Cors pesans, et que lors que CD, l’extremité de cette planche, estoit où est maintenant AB, la fourmy estoit au poinct C, et commençoit à descendre vers G. Mais pour ce qu’au commencement elle ne descendoit pas si viste que la planche montoit, elle a demeuré quelque temps sur l’horison ; et ces deux mouvemens luy ont fait descrire la ligne courbe AD ; On demande qu’elle est cette ligne, il ne faut que sçavoir le calcul pour la trouver.

AT III, 643 Pour les Cylindres de bois, ou autre matiere, dont l’un soit quatre fois aussi long que l’autre, ie ne puis croire qu’ils descendent également viste, pourveu qu’ils tombent toûjours ayant un bout en bas et l’autre en haut ; Mais pource qu’ils peuvent varier estant en l’air, et que le mesme doit arriver aux cors d’autres figures, etc. deest reliquum.

AT III, 645 Le P. N. ne semble pas tout à fait iuste, et ie n’ay rien à répondre à son billet, car ie ne luy ay rien promis, et si i’ay fait quelques offres aux siens, pendant qu’ils ne les ont point acceptées, ie ne leur suis point engagé de parole.

AT III, 648 Mon opinion touchant les questions que vous me proposez, depend de deux principes de Physique, lesquels ie dois icy establir, avant que de la pouvoir expliquer. Le premier est, que ie ne suppose aucunes qualitez reelles en la Nature, qui soient adjoustées à la substance, comme de petites Clerselier II, 554 Ames à leurs Corps, et qui en puissent estre separées par la puissance Divine ; et ainsi que ie n’attribuë point plus de Realité au Mouvement, ny à toutes ces autres varietez de la Substance, qu’on nomme des qualitez, que communément les Philosophes en attribuent à la figure, laquelle ils ne nomment pas qualitatem realem, mais seulement AT III, 649 modum. La principale raison qui me fait rejetter ces qualitez réelles, est, que ie ne voy pas que l’esprit humain ait en soy aucune notion, ou aucune idée particuliere pour les concevoir ; de façon qu’en les nommant, et en assurant qu’il y en a, on assure une chose qu’on ne conçoit pas, et on ne s’entend pas soy-mesme. La seconde raison est, que les Philosophes n’ont supposé ces qualitez réelles qu’à cause qu’ils ont crû ne pouvoir expliquer autrement tous les Phainomenes de la Nature ; et moy ie trouve au contraire, qu’on peut bien mieux les expliquer sans elles.

L’autre principe est, que tout ce qui est, ou existe, demeure tousiours en l’estat qu’il est, si quelque cause exterieure ne le change ; en sorte que ie ne croy pas qu’il puisse y avoir aucune qualité, ou mode, qui perisse iamais de soy-mesme. Ce que ie prouve par la Metaphysique ; Car Dieu qui est l’Autheur de toutes choses, estant tout parfait et immuable, il me semble repugner qu’aucune chose simple que Dieu ait creee, ait en soy le principe de sa destruction ; Et comme un Cors qui a quelque figure ne la pert iamais, si elle ne luy est ostée par la rencontre de quelqu’autre Cors ; ainsi quand il y a quelque mouvement, il le doit tousiours retenir, si quelque cause exterieure ne l’empesche. Et la chaleur, les sons, et autres telles qualitez, ne me donnent aucune difficulté, à cause que ce ne sont que des mouvemens qui se AT III, 650 font dans l’air, où ils trouvent divers empeschemens qui les arrestent.

Or le Mouvement n’estant point une qualité Réelle, mais seulement un mode, on ne peut concevoir qu’il soit autre chose, que le changement par lequel un Cors s’éloigne de quelques autres, et dans lequel il n’y a que deux proprietez Clerselier II, 555 à considerer ; l’une, qu’il se peut faire plus ou moins viste ; l’autre, qu’il se peut faire vers divers costez : Et bien que ce changement puisse proceder de diverses causes, il est toutesfois impossible, que ces causes le determinant vers un mesme costé, et le rendant également viste, luy donnent aucune diversité de Nature. C’est pourquoy ie ne croy pas que deux missiles égaux en matiere, grandeur, et figure, partant de mesme vitesse, dans un mesme air, par une mesme ligne, c’est à dire vers le mesme costé (car si l’un commençoit son mouvement à un bout de cette ligne, et l’autre à l’autre, ils ne partiroient pas dans un mesme air) puissent aller plus loin l’un que l’autre. Et l’experience des Arcs ne me donne aucune difficulté : Car la fléche qui est poussée par un grand Arc de bois, estant plus grande et plus legere, que celle qui est poussée par un petit Arc d’acier, peut aller plus loin, encore qu’elle ne parte pas si viste, à cause que sa pesanteur ne la presse pas AT III, 651 tant de descendre. Mais si on demande pourquoy cette grande fléche poussée par le petit Arc, ira moins loin que poussée par le grand ; Ie répons que cela vient de ce qu’estant poussée trop viste, elle n’acquiert pas un égal mouvement en toutes ses parties : Car le bois dont elle est composée, n’estant point parfaitement dur, la grande violence dont le bout qui touche la corde est poussée, le fait rentrer un peu en dedans, et ainsi la fléche s’accourcissant, il va plus viste que l’autre bout ; Et pource que la corde le quitte, avant que cét autre bout ait acquis la mesme vitesse, il se trouve deux divers mouvemens en la fléche, l’un qui la porte en avant, et l’autre par lequel elle se rallonge, et pource que cettuy-cy est contraire au premier, il l’empesche.

Ie croy aussi qu’il est impossible qu’une boule parfaitement dure, tant grosse qu’elle soit, en rencontrant en ligne droite une plus petite, aussi parfaitement dure, la puisse mouvoir suivant la mesme ligne droite, plus viste qu’elle se meut elle-mesme ; mais i’adjouste que ces deux boules se doivent rencontrer en ligne droite, c’est à dire que les centres Clerselier II, 556 de l’une et de l’autre doivent estre en la mesme ligne droite, selon laquelle se fait le mouvement. Car par exemple, si la grosse boule B, venant en ligne droite d’A vers B, rencontre de costé la petite boule C, qu’elle fait mouvoir vers E, il n’y a point de doute, qu’encore que AT III, 652 ces boules fussent parfaitement dures, la petite devroit partir plus viste, que la grosse ne se mouveroit apres l’avoir rencontrée ; et faisant les angles ADE, et CFE droits, la proportion qui est entre les lignes CF, et CE, est la mesme qui seroit entre la vitesse des boules B et C. Notez que ie suppose les centres de ces boules en un mesme plan, et ainsi qu’elles ne roulent pas sur la terre, mais qu’elles se rencontrent en l’air. I’adjoûte aussi que ces boules doivent estre parfaitement dures ; car étant de bois, ou autre matiere flexible, comme sont toutes celles que nous avons sur la terre ; Il est certain que si la grosse H venant de G, rencontre la petite K en ligne droite, et qu’elle trouve en elle de la resistance, ces deux boules se replient quelque peu en dedans au poinct I, où elles se touchent, avant que le centre de la boule K com mence à se mouvoir, et ainsi elles font comme deux petits Arcs, qui se debandant aussi-tost aprés, peuvent pousser la petite K plus viste que la grosse ne se mouvoit. Car H, estant par exemple dix fois plus grosse que K, et AT III, 653 ayant dix degrez de mouvement, un desquels suffit à K, pour la faire mouvoir aussi viste qu’H, si elle communique ces dix degrez à ces petits Arcs, et qu’ils les communiquent apres à K, la boule K ira dix fois aussi viste qu’alloit H, laquelle H s’arrestera entierement, ce qui ne peut morallement arriver ; mais il arrive bien qu’elle en communique six ou sept à ces petits Arcs, qui en donnent deux ou trois à la petite boule, Clerselier II, 557 et en laissent ou rendent sept ou huit à la grosse, avec lesquels elle continuë vers L, ou retourne vers G, selon que ce qu’ils luy laissent de mouvement, est plus ou moins que ce qu’ils luy rendent ; et huit degrez en la grosse boule, la font aller beaucoup plus lentement, que deux en la petite.

Pour le troisiéme poinct, à sçavoir que le mouvement ne sçauroit perir s’il n’est destruit, ou plutost changé, par quelque cause exterieure (car ie ne croy pas qu’il y en ait aucune qui le destruise entierement,) ie l’ay desia étably cy-devant comme un principe, c’est pourquoy ie n’ay pas besoin d’en dire davantage. Ie suis,