Clerselier II, 51

A MONSIEUR PLEMBPIUS.

LETTRE IX. Version.

MONSIEUR,
Ie me réjouïs, de ce qu’enfin vous avez reçeu ma réponse aux objections de M. Fromondus. Mais ie m’estonne fort de ce qu’elle luy a donné occasion de croire, que i’avois esté un peu picqué ou irrité par son écrit ; Car ie veux bien qu’il sçache que ie ne l’ay nullement esté ; et ie pense mesme qu’il ne m’est pas échappé la moindre parole contre luy, dont il se soit servy le premier contre moy, et qui n’ait sa pareille, ou mesme une plus rude en son écrit ; En sorte que croyant qu’il se plaisoit à ce stile, i’ay forcé mon inclination, qui est tout à fait éloignée de toute sorte de dispute, de peur qu’en soûtenant son effort trop lâchement, et avec trop de molesse, ce jeu luy fust moins agreable. Et comme ceux qui se font la guerre aux Echets, ou aux Dames, n’en sont pas ordinairement pour cela moins bons Amis, iusques-là mesme que l’addresse en ce jeu, est souvent la cause ou l’occasion de l’Amitié qui se contracte et qui s’entretient entre plusieurs ; ainsi i’ay tâché de meriter sa bien-veillance par ma réponse.

Ie ne puis attendre aucun iugement assez solide, de ceux qui s’estant contentez d’emprunter un Exemplaire de mon Livre l’auront seulement lû à la haste ; Car ce qui est à la fin de chaque Traitté, ne pourra estre compris si on n’a present en sa memoire tout ce qui le precede ; et les preuves de ce qui est proposé au commencement, dépendent entierement de tout ce qui est mis aprés. Car les choses que ie propose dans les premiers Chapitres touchant la Nature de la Lumiere, et touchant la figure des petites parties du sel et de Clerselier II, 52 l’eau douce, et semblables, ne sont pas mes Principes, ainsi qu’il semble que vous m’objectiez, mais plutost ce sont des conclusions qui se demonstrent par toutes les choses qui les suivent. Mais on doit prendre pour mon objet Formel (afin d’user des termes des Philosophes) les grandeurs, les figures, la situation, et le mouvement ; Et les choses Physiques que i’explique, pour mon objet Materiel. Et les Principes, ou les premisses, d’où ie tire ces conclusions, ne sont autres que ces Axiomes, sur lesquels les demonstrations des Geometres sont appuyées ; Par exemple, Le Tout est plus grand que sa Partie ; si de Choses égales on oste Choses égales, les restes seront égaux, etc. non pas toutesfois entant que separez de toute matiere sensible, comme font les Geometres, mais entant qu’appliquez à diverses experiences qui sont connuës par les Sens, et dont on ne peut douter. Comme de ce que les petites parties du sel sont un peu longues et inflexibles, i’ay deduit la figure quarrée de ses grains, et plusieurs autres choses, qui sont tres-manifestes aux Sens. Et mon dessein a seulement esté d’expliquer celles-cy par les autres, comme des effets par leur cause ; et non pas de les prouver, comme estant desia assez connuës d’elles-mesmes : Mais au contraire, i’ay pretendu demonstrer les autres par celles-cy, comme des causes par leurs effets, ainsi que ie me ressouviens d’avoir écrit assez au long en ma réponse à la onziéme Objection de Monsieur Fromondus. Ie seray bien aise si le R. P. Iesuite à qui vous avez presté mon Livre, écrit quelque chose : car il n’est pas à croire qu’il puisse rien venir que de bon et de bien concerté, d’aucun de cette Compagnie : Et d’autant plus que les Objections que l’on me proposera seront fortes, d’autant plus me seront-elles agréables. C’est pourquoy i’attens avec grande impatience les vostres touchant le mouvement du Cœur. Et ie suis.

Ce 20. Decembre 1637.