MONSIEUR,
Ie ne m’estonne plus qu’on contredise à mes Ecrits, et que mes opinions rencontrent beaucoup d’adversaires, puis que vostre innocent Traitté de l’usage des Orgues, qui est plus doux que leur harmonie, et que ie ne croyois pas moins puissant que la Harpe de David, pour chasser les Esprits Malins, AT III, 781 a trouvé des Amateurs de discorde, qui l’ont impugnée. I’ay pris plaisir de voir à la fin du Livre que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer, comment la seule ombre de vostre nom peut fulminer et fraper ceux qui le Clerselier II, 307 meritent ; Vous n’eussiez sceu choisir une meilleure façon de répondre aux impertinences d’un étourdy, et pour les NB, que i’ay veus au commencement de ce mesme Livre, ie veux bien croire qu’ils viennent d’un sçavant homme, mais ie ne voy point qu’ils contiennent de Demonstrations ; Et il me semble que c’est vouloir un peu trop faire le Pedagogue, ou le Censeur, en des matieres où il y a des raisons à dire de part et d’autre, que de se vouloir opposer à celles qui ont desia esté écrites par une honneste homme ; Mais ie ne sçay rien de l’Histoire, et ne puis si bien iuger des raisons.
Pour le Traitté de l’Ayman, ie ne me repens pas non plus que vous, de l’avoir lû, bien que le raisonnemens ne vaillent rien du tout, et que ie n’y trouve qu’une seule experience qui soit nouvelle, à sçavoir que l’acier de l’ayman estant perpendiculaire sur l’Horison, un certain point de son Equateur, qui est tousiours le mesme, en quelque quartier du Monde que ce soit, se tourne naturellement vers le Pole ; car cette experience vaut beaucoup. Mais ie crains qu’il ne se soit mépris, en ce qu’il assure que ce point de l’Equateur de l’Ayman, ne decline iamais du Pole du Monde, ainsi que font les aiguilles des Bouffoles ; Et si ie pouvois iouïr pour quelque temps d’un Ayman Spherique, ie tâcherois d’en déchiffrer la verité, et trouverois peut-estre quelqu’autre chose ; Mais ie ne me souviens point d’en avoir vû à feu M. Reael, ce qui me fait croire que peut-estre il n’y en a aucun en ce païs.
Au reste i’ay maintenant receu l’Ecrit que i’attendois de vostre part, c’est un AT III, 782 prisonnier que i’ay entre mes mains, et que ie desire traitter le plus courtoisement que ie pourray, mais ie le trouve si cuopable, que ie ne voy aucun moyen de le sauver. I’assemble tous les iours mon conseil de guerre sur ce suiet, et i’espere que dans peu de temps vous en pourrez voir le succés. Peut-estre que ces guerres Scolastiques seront cause que mon Monde sera bien-tost vû dans le monde, et ie croy que ce seroit dés à present, sinon qu’il doit auparavant Clerselier II, 308 apprendre à parler Latin, et prendre le nom de Summa Philosophiæ, pour estre plus aysement admis en la conversation de gens de l’Ecole, qui le persecutent et tâchent à l’étouffer avant sa naissance, aussi bien que les Ministres et les autres. Monsieur de Pollot vous en peut dire des nouvelles, il nous a aidé à gagner des batailles à Utrecht, ou plutost à nous retirer bagues sauves, car nous n’y avons gueres gagné. Ie suis,
MONSIEUR,
vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.