MONSIEUR,
Ie tiens à tres-grande faveur d’estre en la souvenance d’une personne de vostre merite, et ie suis tres-obligé au R. Pere Gibieuf des soins qu’il daigne prendre pour moy ; ce n’est pas d’auiourd’huy qu’il a commencé à me témoigner de la bien-veillance, comme aussi l’eminence de sa vertu et de son sçavoir m’a donné, il y a long-temps une tres-particuliere inclination à l’honorer. La reputation du R. Pere de la Barde a passé aussi iusques à moy dans le desert, et ie serois bien aise de pouvoir entierement satisfaire aux trois points, où vous avez pris la peine de m’advertir qu’il trouve principalement de la difficulté dans ces petits commencemens de Metaphysique que i’ay ébauchez ; Mais pource que vous ne les avez touchez qu’en trois mots, i’ay peur de n’avoir pû deviner la source des difficultez qu’il y trouve, ce qui est cause que i’ay-seulement parlé à la fin des dernieres objections que i’envoye au R. Pere Mersenne de la plus generale occasion pour laquelle il me semble que la pluspart ont de la peine à remarquer la distinction qui est entre l’Ame et le Cors ; c’est à sçavoir, que les premiers jugemens que nous avons faits dés nostre enfance, et depuis aussi la Philosophie vulgaire, nous ont accoustumé à attribuer au Cors plusieurs choses qui n’appartiennent qu’à l’Ame, et d’attribuer à l’Ame plusieurs choses qui n’appartiennent qu’au Corps ; et qu’ils mélent ordinairement ces deux idées du Cors et de l’Ame en la composition des Idées qu’ils forment des qualitez Réelles, et des formes Substantielles, que ie croy devoir estre entierement rejettée. Au lieu qu’en bien Clerselier II, 301 examinant la Physique, on y peut reduire toutes les choses qui tombent sous la connoissance de l’Entendement, à si peu de Genres, et desquels nous avons des notions si claires et si distinctes les unes des autres, qu’aprés les avoir considérées, il ne me semble pas qu’on puisse AT III, 421 manquer à reconnoistre, si lors que nous concevons une chose sans une autre, cela se fait seulement par une abstraction de notre Esprit, ou bien à cause que ces choses sont veritablement diverses : Car en tout ce qui n’est separé que par abstraction d’Esprit, on y remarque necessairement de la conjonction et de l’union, lors qu’on les considere l’un avec l’autre ; Et on n’en sçauroit remarquer aucune entre l’Ame et le Cors, pourveu qu’on ne les conçoive que comme il les faut concevoir, à sçavoir l’un comme ce qui remplit l’Espace, et l’autre comme ce qui pense ; En sorte qu’aprés l’Idée que nous avons de Dieu, qui est extrémement diverse de toutes celles que nous avons des choses creées, ie n’en sçache point deux en toute la Nature, qui soient si diverses que ces deux là. Mais ie ne propose en cecy que mon opinion, et ie ne l’estime point tant, que ie ne fusse prest de la changer, si ie pouvois apprendre mieux, de ceux qui ont plus de lumiere ;
Et ie suis,
MONSIEUR,