AT III, 542

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LX.

MON REVEREND PERE,
Ie suis extremement obligé à Monsieur de sainte Croix, de la bonne volonté que vous me mandez qu’il me témoigne ; I’estime beaucoup les conseils qu’il me fait la faveur de me donner, et ie ne manqueray de les suivre, autant qu’il sera en mon pouvoir ; et mesme ie ne plaindrois pas d’aller faire un voyage en France tout exprés pour les pouvoir apprendre de sa bouche, mais la Mer et les Dunkerquois rendent maintenant le passage trop difficile et trop perilleux.

Pour ce qui est de témoigner publiquement que ie AT III, 543 suis Catholique Romain, c’est ce qu’il me semble avoir desia fait tres-expressement par plusieurs fois, comme en dediant mes Meditations à Messieurs de la Sorbonne, en expliquant comment les Especes demeurent sans la Substance du Pain en Clerselier II, 309 l’Eucharistie, et ailleurs ; Et i’espere que doresnavant ma demeure en ce païs ne donnera sujet à personne d’avoir mauvaise opinion de ma Religion, vû qu’il est le refuge des Catholiques, témoin la R. qui y est arrivée depuis peu, et la R. qu’on dit y devoir bien tost retourner.

Ie vous envoye les trois premieres feüilles des objections du Pere B. c’est la negligence du Libraire qui est cause que ie ne vous puis encore envoyer le tout. Ie vous prie de garder la copie écrite à la main que vous en avez, afin qu’il ne puisse dire que i’ay fait changer quelque chose en sa copie, laquelle i’ay esté soigneux de faire imprimer le plus correctement qu’il m’a esté possible, et sans y changer une seule Lettre. Vous vous étonnerez peut-estre de ce que ie l’accuse tant de fausseté, mais vous verrez bien encore pis au reste, et toutesfois ie l’ay traitté le plus courtoisement qu’il m’a esté possible, mais ie n’ay iamais vû d’écrit si remply de fautes ; I’espere toutesfois separer tellement sa cause de celle de ces Confreres, qu’ils ne m’en pourront vouloir mal, si ce n’est qu’ils veüillent ouvertement se declarer ennemis de la verité, et fauteurs de la calomnie.

I’ay cherché dans saint Augustin les passages que AT III, 544 vous m’aviez mandé sur le Pseaume quatorziesme, mais ie ne les ay sceu trouver, ny rien de luy sur ce Pseaume. I’y ay aussi cherché les erreurs de Pelagius, pour sçavoir sur quoy se peuvent fonder ceux qui disent que ie suis de son opinion, laquelle i’avois ignorée iusqu’à present ; Mais i’admire que ceux qui ont envie de médire, s’avisent d’en chercher des pretextes si peu veritables, et si tirez par les cheveux. Pelagius a dit qu’on pouvoit faire de bonnes œuvres et meriter la Vie eternelle sans la Grace, ce qui a esté condamné de l’Eglise ; et moy ie dis qu’on peut connoistre par la raison naturelle que Dieu existe, mais ie ne dis pas pour cela que cette connoissance naturelle merite de soy, et sans la Grace, la Gloire Surnaturelle que nous attendons dans le Ciel : Car au contraire il est evident que cette Gloire estant Surnaturelle, il faut des forces plus que naturelles pour la Clerselier II, 310 meriter ; Et ie n’ay rien dit touchant la connoissance de Dieu, que tous les Theologiens ne disent aussi. Mais il faut remarquer que ce qui se connoist par raison naturelle, comme qu’il est tout bon, tout puissant, tout véritable, etc. peut bien servir à préparer les Infidelles à recevoir la Foy, mais non pas suffire pour leur faire gagner le Ciel ; car pour cela il faut croire en Iesus-Christ, et aux autres choses revelées, ce qui dépend de la Grace.

Ie voy qu’on se meprend fort aisément touchant les choses que i’ay écrites, car la verité estant indivisible, la moindre chose qu’on en oste, ou qu’on y adjouste, la falsifie ; Comme par exemple, vous me mandez comme un axiome qui vienne de moy, Que tout ce que nous concevons clairement est ou existe ; ce qui n’est AT III, 545 nullement de moy, mais seulement que tout ce que nous appercevons clairement est vray, et ainsi qu’il existe, si nous appercevons qu’il ne puisse ne pas exister ; ou bien qu’il peut exister, si nous appercevons que son Existence soit possible : Car bien que l’Estre objectif de l’Idée doive avoir une cause réelle, il n’est pas tousiours besoin que cette cause la contienne Formaliter, mais seulement Eminenter.

Ie vous remercie de ce que vous me mandez du Concile de Constance sur la condamnation de Wiclef, mais ie ne voy point que cela fasse rien du tout contre moy ; Car il auroit dû estre condamné en mesme façon, si tous ceux du Concile eussent suivy mon opinion ; et en niant que la Substance du Pain et du Vin demeure, pour estre le sujet des Accidens, ils n’ont point pour cela determiné que ces Accidens fussent réels, qui est tout ce que i’ay écrit n’avoir point lû dans les Conciles ; Cependant ie vous suis extremement obligé de tant de soin que vous prenez pour tout ce qui me regarde.

Ie suis bien aise que M. de Z. vous ait fait voir l’impudence de Voëtius qui vous cite contre moy, i’avois eu envie de vous le mander, mais i’en avois fait si peu de cas, que ie l’avois tousiours oublié. Sa grande animosité contre moy vient de ce qu’il y a un Professeur à Utrecht, qui enseigne Clerselier II, 311 ma Philosophie, et ses disciples, ayant gousté ma façon de raisonner, méprisent si fort la vulgaire, qu’ils s’en moquent AT III, 546 ouvertement ; Ce qui a excité une extréme ialousie contre luy de tous les autres Professeurs, dont V. est le Chef ; Et ils importunent tous les iours le Magistrat, pour luy faire deffendre cette façon d’enseigner. Il faut que vous voyez la réponse que i’ay faite à Voëtius, à quelques-unes de ces Theses, où il a compris tout ce qu’il a pû de ma Philosophie. Ie les envoyeray à Monsieur de Z. pour vous les addresser, car autrement le port en coûteroit trop. Au reste, i’ay lû le favorable iugement que Monsieur Chanut a fait de moy, m’estimant capable de répondre aux objections du Père P. Ie tâcheray de faire voir qu’il est en cela aussi veritable, que l’autre ne l’est pas, et ie seray bien aise qu’il sçache que

ie suis,
M. R. P.