AT I, 171

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXI.

MON REVEREND PERE,
Ie ne reçois iamais de vos Lettres, que ce ne soient de nouvelles obligations que ie vous ay, et que ie n’y reconnoisse de plus en plus le bien que vous me voulez ; Ie suis seulement marri de n’avoir pas tant d’occasions de vous servir icy où ie suis, comme vous en avez de m’obliger là où vous estes. Ie regrette les quinze iours que vous avez esté trop tost à Liege, nous eussions bien pû nous promener durant ce temps-là. Pour vostre fortune d’Anvers, ie ne la trouve pas tant à plaindre, et ie croy qu’il est mieux que la chose se soit passée ainsi, que si on eust sceu long temps apres, Clerselier II, 312 que vous estiez venu en ces quartiers, comme il estoit mal-aisé qu’on ne le sceust.

Pour M. N. ie ne sçay s’il ne nous veut point un peu de mal à mon occasion aussi bien que fait le sieur N. quoy que ce soit sans que ie luy en aye donné aucun sujet ; Mais il m’a fait reprimande en celle que ie vous ay mandé qu’il m’avoit écrite, où entre autres choses il met ces mots : Cumque Mersennus tuus totas dies in Libro meo manuscripto versaretur, atque in eo pleraque, quæ tua esse existimabat, videret, et ex tempore illis addito, de illorum Authore merito dubitaret, id quod res erat, illi liberius fortassis, quam tibi aut illi placuit, apervi. Ce mot seul a esté cause que ie luy ay fait réponse, car sans cela ie n’en eusse pas pris la peine, et ie l’ay commencé en ces termes : Multum aberras a vero, et maligne iudicas de religiosissimi viri humanitate, si quid mihi de te a P. M. AT I, 172 renuntiatum fuisse suspiceris ; Sed ne plures alios cogar excusare, scire debes, me non ex illo, nec ex ullo alio, sed ex tuis ipsis ad me Litteris, quæ in te reprehendo cognovisse, etc. En suite ie luy fais un long discours, où ie ne parle d’autre chose que des impertinences qui sont dans les dernieres qu’il m’a écrites, lesquelles ie garde avec les secondes réponses que i’y ay faites : Car si i’écrivois iamais de la Morale, et que ie voulusse expliquer combien la sotte gloire d’un Pedan est ridicule, ie ne la sçaurois mieux representer, qu’en y mettant ces quatre Lettres.

Pour la distinction du retour de la corde, in Principium , Medium et Finem ou Quietem, l’experience que vous me mandez de l’Aiman, suffit pour montrer que nulla talis est quies : Car si elle monstre, comme vous concluez fort bien, que ce n’est pas l’agitation de l’air qui est cause du mouvement, il suit de là necessairement, que la puissance de se mouvoir est dans la chose mesme, et par consequent qu’il est impossible qu’elle se repose, pendant que cette puissance dure ; Mais si la corde se reposoit aprés le premier tour, elle ne pourroit plus retourner d’elle-mesme comme elle fait, car il faudroit que la puissance qu’elle a de se mouvoir eust cessé pendant ce repos.

Clerselier II, 313 Pour N. il a bien tort de se plaindre des Cartes que ie luy envoyois, ce seroit à moy à m’en plaindre, à qui elles ont cousté de l’argent, et non pas à luy, à qui elles n’ont rien cousté, et qui peut-estre a feint ne les avoir pas reçuës, de peur de m’en avoir obligation ; AT I, 173 car on m’a assuré qu’elles avoient esté bien addressées. Mais ie ne seray pas marry qu’on sçache que ie vous ay témoigné que c’estoit un homme de qui ie fais fort peu d’estat, d’autant que i’ay reconnu qu’il n’effectuë iamais aucune chose de ce qu’il entreprend ; et outre cela qu’il a l’Ame peu genereuse. Il n’est pas besoin qu’on sçache plus particulierement en quoy i’ay sujet de le blâmer, pource qu’il ne me semble pas seulement digne que ie me fâche contre luy : Toutesfois si quelqu’un pensoit que i’eusse tort luy ayant autrefois témoigné de l’affection, de l’abandonner maintenant du tout, ie vous écrivis une Lettre, lors que vous estiez ie croy, à Anvers, par laquelle vous me pourrez iustifier s’il vous plaist. I’ay receu une Lettre du mesme N. il y a huit iours, par laquelle il me convie, comme de la part de M. de Marcheville, à faire le voyage de Constantinople, ie me suis mocqué de cela ; car outre que ie suis maintenant fort éloigné du dessein de voyager, i’ay plutost crû que c’estoit une feinte de mon homme, pour m’obliger à luy répondre, que non pas que M. de Marcheville de qui ie n’ay point du tout l’honneur d’estre connu, luy en eust donné charge, comme il me mande. Toutesfois, si par hazard cela estoit vray, ce que vous pourrez ie croy sçavoir de M. Gassendy, qui doit faire le voyage avec luy, ie seray bien aise qu’il sçache que ie me ressens extremement obligé à le servir pour les honnestes offres qu’il me fait, et que i’eusse chery une telle occasion il y a quatre ou cinq ans, comme l’une des meilleures fortunes qui m’eussent pû arriver : Mais AT I, 174 que pour maintenant ie suis occupé en des desseins, qui ne me la peuvent permettre, et M. Gassendi m’obligeroit extrémement s’il vouloit prendre la peine de luy dire cela de ma part, et de luy témoigner que ie luy suis tres-humble serviteur. Pour N. Clerselier II, 314 comme ce n’est pas un homme sur les Lettres de qui ie me voulusse assurer pour prendre quelque resolution, aussi n’ay-ie pas crû luy devoir faire réponse ; Ie seray bien aise que vous fassiez voir à M. Gassendi cette partie de ma Lettre, et que vous l’assuriez que ie l’estime et honore extrémement ; Ie luy eusse écrit particulierement pour cela, si i’eusse pensé que ce qu’on me mandoit fust veritable. Au reste ie seray bien aise qu’on sçache que ie ne suis pas graces à Dieu en condition de voyager, pour chercher fortune, et que ie suis assez content de celle que ie possede, pour ne me mettre pas en peine d’en avoir d’autre : Mais que si ie voyage quelquesfois, c’est seulement pour apprendre, et pour contenter ma curiosité. Si vous voyez le Pere Gibieuf, vous m’obligerez extremement de luy témoigner combien ie l’estime, luy et le Pere Gondran, et combien ie vous ay témoigné que i’approuvois et suivois les opinions que vous m’avez dit estre dans son Livre ; Mais que ie ne luy en ay osé écrire, pource que ie suis honteux de ne l’avoir encore pû recouvrer pour le lire, n’en ayant eu des nouvelles, que depuis que vous avez esté hors de Paris ; Ie ne seray pas marri qu’il sçache aussi plus particulierement que les autres, que i’estudie à quelqu’autre chose qu’à l’art de tirer des armes. Pour les AT I, 175 autres, vous m’avez obligé de leur parler ainsi que vous avez fait. Ie ne me sçaurois imaginer qu’en ce que vous me mandez de la duplication du Cube, il puisse y avoir dequoy s’arrester une demie heure ; Car si on la veut demonstrer par les Solides, la chose est possible, comme vous sçavez, que i’en ay autresfois fait voir la construction à M. Hardy, et à M. Mydorge, laquelle Monsieur Mydorge a fort bien demonstrée ; mais si on la pense trouver autrement, il est certain qu’on se méprend. Monsieur N. a tort, s’il s’offense de ce que i’ay plutost écrit à M. N. qu’à luy, car ie seray bien aise qu’il sçache, que ce n’est pas tousiours à ceux que i’estime et honnore le plus, à qui i’écris le plus, et que i’ay quantité de proches parens, et de tres-particuliers amis, à qui ie n’écris iamais, et qui ie Clerselier II, 315 m’asseure ne laissent pas de m’aimer, dautant qu’ils sçavent bien que cela n’empesche pas que ie ne fusse tousiours prest de les servir, si i’en avois les occasions, et qu’il doit croire le semblable ; Mais que pour des Lettres de complimens, il me faudroit avoir un Secretaire à mes gages, si ie voulois écrire à tous ceux que i’estime, et que ie pense estre de mes amis. I’ay écrit audit sieur N. pour l’inciter à travailler aux Verres, et pour luy donner de petites commissions à Paris, desquelles ie n’eusse pas voulu importuner Monsieur N. I’ay quantité d’amis qui devroient s’offenser par mesme raison, s’ils sçavoient que ie veux bien écrire à mon petit laquais, et que ie ne leur écris pas, et vous mesme vous devriez vous offenser de ce que i’ay écrit AT I, 176 à M. N. avant que de vous écrire. Pour les Modelles qu’il se repent d’avoir taillez, ne craignez pas qu’ils manquent à la postérité ; car il verra non seulement qu’on n’en aura que faire, mais qu’il seroit mesme impossible de s’en servir.

Ie ne pose pas comme Principe, que, grave sibi imprimit motum primo momento, mais comme une conclusion, qui se tire necessairement de certains Principes qui me sont evidens, bien que ie vous aye dit plusieurs fois, ne les pouvoir expliquer sinon par un long discours, lequel ie ne feray peut-estre de ma vie ; Et c’est ce qui m’oblige à faire souvent difficulté de vous mander mes opinions : car ie ne les écrirois iamais, sinon que ie vous honore trop, pour vous refuser aucune chose que vous desiriez. I’estime fort l’experience de l’Ayman que vous m’apprenez, et ie iuge bien qu’elle est veritable ; Elle s’accorde entierement aux raisons de mon Monde, et me servira peut-estre pour les confirmer. Ie suis,
M. R. P.