AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXIV.

MON REVEREND PERE,
Vous m’affligeriez infiniment, si vous aviez la moindre AT I, 190 opinion que ie pusse iamais manquer de vous honorer et servir de toute mon affection ; Mais ie vous ay mandé à l’autre Clerselier II, 321 voyage ce qui m’avoit fait differer à escrire, et vous sçavez avec cela que ie suis un peu negligent. Ie vous iure que i’ay maintenant la teste si rompuë des Lettres que ie viens d’écrire pour M. N. que ie ne sçay plus ce que i’ay à vous dire, il m’a envoyé cette semaine un gros pacquet, où il y avoit des Lettres de ceux ausquels vous verrez que i’en ay écrit. I’ay crû que vous ne seriez pas marry de voir ce que ie leur mande, et que vous m’ayderez à me iustifier. Il n’y a aucun d’eux qui m’ait témoigné en aucune façon, que M. N. vous eust meslé dans ses plaintes, ny qui ne m’ait obligé en l’excusant. Monsieur Gassendi a fait le semblable, dans une Lettre qu’il a écrite à M. R. et ie vous prie aussi de me iustifier envers luy ; Mais particulierement ie vous prie de voir le P. M. et de luy faire voir la Lettre que vous avez fait voir à M. Mydorge ; et si vous en avez encore une autre que ie vous écrivis au mois de Mars dernier, pour réponse à ce que vous me mandiez que N. se preparoit de me venir trouver, ie seray bien aise qu’il voye, par ce que ie vous mandois, que ie n’oublie rien à luy dire, de ce qui pourra servir à ma cause, non point tant pour luy montrer le tort de N. comme pour l’assurer, que ie n’ay pas manqué de prudence, ny de moderation, et que i’ay méprisé ses petits desseins, plutost que de m’en fâcher aucunement. Vous cacheterez s’il vous plaist toutes leurs Lettres, avant que de leur donner, AT I, 191 excepté celle de N. laquelle ie vous prie de faire voir à M. G. au P. N. et au P. D. et de la laisser à celuy d’entr’eux que vous verrez le dernier, pour la luy donner.

Ie vous envoye une aiguille frottée d’une pierre d’Ayman qui pese environ deux livres, et qui en leve iusques à vingt estant armée, mais desarmée elle n’en leve pas plus d’une ; il decline de cinq degrez à ce qu’on m’a dit, mais ie n’en suis pas fort assuré ; car celuy qui l’a, n’est pas fort intelligent. Ie ne sçay si c’est la mesme pierre que vous avez vuë, mais on m’a dit qu’il n’y en avoit point de meilleure en cette Ville ; et si on vous demande où ie suis, ie vous prie de dire que vous n’en estes pas certain, pource que i’estois Clerselier II, 322 en resolution de passer en Angleterre, mais que vous avez receu mes Lettres d’icy, et que si on me veut écrire, vous me ferez tenir leurs Lettres. Si on vous demande ce que ie fais, vous direz, s’il vous plaist, que ie prens plaisir à estudier pour m’instruire moy mesme ; mais que de l’humeur que ie suis, vous ne pensez pas que ie mette iamais rien au iour, et que ie vous en ay tout à fait osté la creance. Ie suis.