AT I, 249

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXVII.

MON REVEREND PERE,
Il y a huit iours que ie vous donnay la peine de faire tenir une Lettre pour moy en Poitou, mais AT I, 250 comme ie me hastay en l’écrivant, suivant ma negligence ordinaire, qui me fait Clerselier II, 329 tousiours differer iusques à l’heure que le Messager est prest de partir. Ie m’oubliay d’y mettre l’addresse par où on me pourroit faire réponse, ce qui me contraint de vous importuner derechef d’y en faire tenir une. Si l’observation du Phainomene de Rome que vous me mandez avoir, et qui est écrite de la main de Scheiner est plus ample que ce que vous m’en avez autresfois envoyé, vous m’obligerez si vous prenez la peine de m’en envoyer une copie : Si vous sçavez quelque Autheur qui ait particulierement recueilly les diverses observations qui ont esté faites des Cometes, vous m’obligerez aussi de m’en avertir ; car depuis deux ou trois mois, ie me suis engagé fort avant dans le Ciel ; et aprés m’estre satisfait touchant sa Nature, et celle des Astres que nous y voyons, et plusieurs autres choses que ie n’eusse pas seulement osé esperer il y a quelques années, ie suis devenu si hardy, que i’ose maintenant chercher la cause de la situation de chaque Estoile fixe : Car encore qu’elles paroissent fort irregulierement éparses çà et là dans le Ciel, ie ne doute point toutefois qu’il n’y ait un ordre naturel entr’elles, lequel est regulier et determiné ; et la connoissance de cét ordre est la clef et le fondement de la plus haute et plus parfaite science, que les hommes puissent avoir, touchant les choses materielles, d’autant que par son moyen on pourroit connoistre à priori toutes les diverses formes et essences des Cors Terrestres ; au lieu que sans elle, il AT I, 251 nous faut contenter de les deviner à posteriori, et par leurs effets. Or ie ne trouve rien qui me pust tant aider pour parvenir à la connoissance de cét ordre, que l’observation de plusieurs Cometes ; et comme vous sçavez que ie n’ay point de Livres, et encore que i’en eusse, que ie plaindrois fort le temps que i’emploirois à les lire, ie serois bien aise d’en trouver quelqu’un qui eust recueilly tout ensemble, ce que ie ne sçaurois sans beaucoup de peine, tirer des Autheurs particuliers, dont chacun n’a écrit que d’une Comete, ou deux seulement.

Vous m’avez autresfois mandé que vous connoissiez des gens qui se plaisoient à travailler pour l’avancement des Clerselier II, 330 Sciences, iusques à vouloir mesme faire toutes sortes d’experiences à leurs dépens. Si quelqu’un de cette humeur vouloit entreprendre d’écrire l’histoire des apparences Celestes, selon la methode de Verulamius, et que sans y mettre aucunes raisons ni hypotheses, il nous décrivist exactement le Ciel, tel qu’il paroist maintenant, quelle situation à chaque Estoile fixe au respect de ses voisines, quelle difference, ou de grosseur, ou de couleur, ou de clarté, ou d’estre plus ou moins étincelantes, etc. Item, si cela répond à ce que les anciens Astronomes en ont écrit, et quelle difference il s’y trouve (car ie ne doute AT I, 252 point que les Estoiles ne changent tousiours quelque peu entr’elles de situation, quoy qu’on les estime fixes) aprés cela qu’il y adjoustast les observations des Cometes, mettant une petite Table du cours de chacune, ainsi que Tycho a fait de trois ou quatre qu’il a observées ; et enfin les variations de l’Ecliptique, et des Apogées des Planetes, ce seroit un ouvrage qui seroit plus utile au public qu’il ne semble peut estre d’abord, et qui me soulageroit de beaucoup de peine. Mais ie n’espere pas qu’on le fasse, non plus que ie n’espere pas aussi de trouver ce que ie cherche à present touchant les Astres. Ie croy que c’est une Science qui passe la portée de l’Esprit humain ; et toutesfois ie suis si peu sage, que ie ne sçaurois m’empescher d’y resver, encore que ie iuge que cela ne servira qu’à me faire perdre du temps, ainsi qu’il a desia fait depuis deux mois, que ie n’ay rien du tout avancé en mon Traitté ; mais ie ne laisseray pas de l’achever avant le terme que ie vous ay mandé. Ie me suis amusé à vous écrire tout cecy sans besoin, et seulement afin de remplir ma Lettre, et ne vous point envoyer de papier vuide. Mandez moy si M. de Beaune fait imprimer quelque chose, i’eusse esté bien aise de voir la duplication du Cube de Messieurs M. et H. avec les Livres que vous m’avez envoyez, et il me semble que vous m’aviez mandé qu’elle y seroit ; mais ie ne l’y ay point trouvée. Ie suis,
MON R. P.