Clerselier II, 331 AT I, 226

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXVIII.

MON REVEREND PERE,
Ie vous remercie tres-humblement des Lettres que vous m’avez envoyées. Pour vos questions, ie pense AT I, 227 avoir desia répondu à la pluspart en mes autres Lettres, c’est pourquoy ie ne me hastois pas de vous faire réponse, pource que ie ne trouvois pas encore matiere d’emplir la feüille. Pour les temps que s’unissent les consonances, tout ce que i’en avois écrit me semble vray ; mais ie n’infere point pour cela que la quinte s’unisse au sixiesme coup ; et l’equivoque vient, de ce qu’il y a de la difference entre les coups, ou tremblements de chaque corde, et les momens dont ie parlois en ma premiere Lettre, la durée desquels est prise ad arbitrium. Et pource que i’avois pris la durée de chaque tremblement de la corde C pour un moment, il est vray que les tremblements des cordes A et B qui font la quinte, ne s’unissent que de six momens en six momens ; Mais on pourroit dire tout de mesme, qu’ils ne s’unissent que de douze momens en douze momens, si on prenoit la durée d’un moment deux fois plus courte ; Ce qui n’empesche pas qu’il ne soit vray que les sons des cordes A et B s’unissent à chaque troisiesme tremblement de la corde B, et à chaque deuxiesme de la corde A. Tout ce que vos Musiciens disent que les dissonances sont agreables, c’est comme qui diroit que les olives, quoy qu’elles ayent de l’amertume, sont quelquesfois plus agreables au goust que le sucre, ainsi que ie croy vous avoir desia mandé ; Ce qui n’empesche AT I, 228 pas que la Musique n’ait ses demonstrations Clerselier II, 332 tres-assurées ; Et generalement ie ne sçache rien de plus à vous répondre, touchant tout ce que vous me proposez de cette Science, que ce que ie vous en ay écrit à diverses fois. Ie ne me dédis point de ce que i’avois dit touchant la vitesse des poids qui descendroient dans le vuide : car supposant du vuide, comme tout le monde l’imagine, le reste est demonstratif ; mais ie croy qu’on ne sçauroit supposer le vuide sans erreur : Ie tâcheray d’expliquer quid sit gravitas, levitas, durities, etc. dans les deux Chapitres que ie vous ay promis de vous envoyer dans la fin de cette année, c’est pourquoy ie m’abstiens de vous en écrire maintenant. I’eusse pû faire réponse à vostre deuxiéme Lettre dés le voyage precedent, sinon que ie fus diverty à l’heure du Messager, et ie crû qu’il n’y avoit rien de pressé. Il y a plus de trois ou quatre mois que ie n’ay point du tout regardé à mes papiers, et ie me suis amusé à d’autres choses peu utiles, mais ie me propose dans huit ou dix iours de m’y remettre à bon escient ; et ie vous promets de vous envoyer avant Pasques quelque chose de ma façon, mais non pas toutesfois pour le faire sitost imprimer. Ie voudrois bien sçavoir si N. est encore à Paris, et s’il parle encore des Lunettes. M. Renery est allé demeurer à Deventer depuis cinq ou six iours, et il est maintenant là Professeur en Philosophie. C’est une Academie peu renommée, mais où les Professeurs ont plus de gages, et vivent plus commodément AT I, 229 qu’à Leyde, ny Fr. où M. R. eust pû avoir place par cy-devant, s’il ne l’eust point refusée ou negligée. Vous me demandez en votre derniere, pourquoy ie suppose tousiours que la Quarte n’est pas si bonne que la Tierce, ou la Sexte contre la Basse, et pourquoy lors qu’on oit quelque son, l’imagination en attend un autre à l’octave ; ce que ie ne sçache point avoir dit, mais bien que nos oreilles entendent en quelque façon celuy qui est à l’octave plus haut : Et voicy les propres mots du petit Traitté de Musique, que i’ay écrit dés l’année 1618 : De quarta : hæc infelicissima est consonantiarum omnium, nec unquam in cantilenis adhibetur nisi per accidens, et cum aliarum adiumento, non quidem quod magis imperfecta Clerselier II, 333 sit quam tertia minor aut sexta, sed, quia tam vicina est quintæ, ut coram huius suavitate, tota illius gratia evanescat. Ad quod intelligendum, advertendum est, nunquam in Musica quintam audiri, quin etiam quarta acutior quodammodo advertatur ; quod sequitur ex eo quod diximus, in unisono, octava acutiorem sonum quodammodo resonare etc. , où vous voyez que ie mets resonare, et non pas, ab imaginatione expectari. Et cecy ne se prouve pas seulement par raison, mais aussi par experience, en la voix, et en plusieurs instrumens.

Vous me demandez aussi que ie vous réponde, sçavoir s’il y a quelqu’autre nombre qui ait cette mesme proprieté que vous remarquez en 120. à quoy ie n’ay rien à dire, pource que ie ne le sçay point, ny AT I, 230 n’ay iamais eu envie de le sçavoir : Car pour chercher telles questions, il y faut ordinairement plus de patience que d’esprit, et elles n’apportent aucune utilité ; Mais s’il y a deux personnes qui disputent touchant cela, ie croy que celuy qui tient l’affirmative, est obligé de monstrer d’autres nombres qui ayent cette mesme propriete, ou bien qu’on doit donner gagné à celuy qui tient la negative ; Et la raison qu’il apporte pour le prouver, me semble avoir de l’apparence, et estre fort ingenieusement inventée ; mais ie ne l’ay pas suffisamment examinée.

Vous me demandez en troisiéme lieu, comment se meut une pierre in vacuo ; mais pource que vous avez oublié à mettre la figure, que vous supposez estre à la marge de vostre Lettre, ie ne puis bien entendre ce que vous proposez, et il ne me semble point que les proportions que vous mettez, se rapportent à celles que ie vous ay autresfois mandés, ou au lieu de etc. comme vous m’écrivez, ie mettois 1/3 4/9 16/27 64/81 etc. ce qui donne bien d’autres consequences : Mais afin que ce que ie vous avois autresfois mandé touchant cela, eust lieu, ie ne supposois pas seulement le vuide ; mais aussi que la force qui faisoit mouvoir cette pierre, agissoit tousiours également, ce qui repugne apertement aux lois de la Nature : Car toutes les puis sances naturelles agissent plus ou moins, selon que le sujet est plus ou moins disposé à recevoir leur Clerselier II, 334 action ; et il est certain qu’une pierre n’est pas également disposée à recevoir un nouveau mouvement, ou une augmentation de vitesse, lors qu’elle se meut desia fort viste, et lors qu’elle se meut fort lentement. AT I, 231 Mais ie pense que ie pourrois bien maintenant determiner, à quelle proportion s’augmente la vitesse d’une pierre qui descend, non point in vacuo, mais in hoc vero aëre. Toutesfois, pource que i’ay maintenant l’esprit tout plain d’autres pensées, ie ne me sçaurois amuser à le chercher, et ce n’est pas chose de grand profit. Ie vous prie de me pardonner si ie vous écris si negligemment, et de penser que mes Lettres ne pourroient estre si longues comme elles sont, si elles estoient dictées avec plus de soin. Ie suis,
MON R. P.