AT I, 242

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXXI.

MON REVEREND PERE,
Il y a trop long-temps que ie n’ay point receu de vos nouvelles, et ie commenceray à estre en peine de vostre santé, si vous ne me faites bien-tost la faveur de m’écrire ; Ie iuge bien que vous aurez voulu differer iusques à ce que ie vous eusse envoyé le Traitté que ie vous avois promis à ces Pasques ; Mais ie vous diray qu’encore qu’il soit presque tout fait, et que ie pusse tenir ma promesse, si ie pensois que vous m’y voulussiez contraindre à la rigueur, ie seray toutesfois bien aise de le retenir encore quelques mois, tant pour le revoir que pour le mettre au net, et tracer quelques figures qui y sont nécessaires, et qui m’importunent AT I, 243 assez : Car, comme vous sçavez, je suis fort mauvais Peintre, et fort negligent aux choses qui ne me servent de rien pour apprendre. Que si vous me blâmez de ce que ie vous ay desia tant de fois manqué de promesse, ie vous diray pour mon excuse, que rien ne m’a fait differer iusques icy d’écrire le peu que ie sçavois, que l’esperance d’en apprendre davantage, et d’y pouvoir adjouster quelque chose de plus ; Clerselier II, 340 Comme en ce que i’ay maintenant entre les mains, aprés la generale description des Astres, des Cieux, et de la Terre ; ie ne m’estois point proposé d’expliquer autre chose touchant les Cors particuliers qui sont sur la Terre, que leurs diverses qualitez, au lieu que i’y mets quelques-unes de leurs formes Substantielles, et tâche d’ouvrir suffisamment le chemin, pour faire que par succession de temps on les puisse connoistre toutes, en adjoustant l’experience à la ratiocination, et c’est ce qui m’a diverty tous ces iours passez : Car ie me suis occupé à faire diverses experiences, pour connoistre les differences Essentielles qui sont entre les Huiles, les Esprits ou Eaux de vie, les Eaux communes, et les Eaux fortes, les Sels, etc. Enfin, si ie differe à m’acquitter de ma dette, c’est avec intention de vous en payer l’interest ; Mais ie ne vous entretiens de cecy que faute de meilleure matiere, car vous iugerez assez si ce que ie me propose de vous envoyer vaut quelque chose quand vous l’aurez ; Et i’ay bien peur qu’il ne soit si fort au-dessous de vôtre attente, que vous ne le veüillez pas accepter en payement. AT I, 244 Vous m’aviez écrit la derniere fois, de quelqu’un qui se vantoit de resoudre toutes sortes de Questions Mathematiques, ie seray bien aise de sçavoir si vous luy aurez proposé la question de Pappus, que ie vous avois envoyée : Car ie vous diray que i’ay employé cinq ou six semaines à en trouver la solution ; et que si quelqu’autre la trouve, ie ne croiray pas qu’il soit ignorant en Algebre. Ie suis,
MON R. P. Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.