Clerselier II, 341

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXXII.

MON REVEREND PERE,
I’ay receu trois de vos Lettres quasi en mesme temps, AT I, 245 l’une du Vendredy Sainct, l’autre du iour de Pasques, et l’autre de quatre iours apres, avec le Livre d’Analyse ; ie n’y ay pas fait plutost réponse, pource que i’estois incertain du lieu où ie passerois cét Esté, et i’attendois que ie me fusse resolu, afin de vous pouvoir mander l’addresse pour m’écrire. Ie vous remercie du Livre d’Analyse que vous m’avez envoyé ; mais entre nous, ie ne vois pas qu’il soit de grande utilité, ny que personne puisse apprendre en le lisant la façon ; ie ne dis pas de nullum non problema solvere, mais de soudre aucun Probleme, tant puisse-t’il estre facile. Ce n’est pas que ie ne veüille bien croire que les auteurs en sont fort sçavans, mais ie n’ay pas assez bon esprit pour iuger de ce qui est dans ce Livre, non plus que de ce que vous me mandez du Probleme de Pappus : car il faut bien aller au delà des sections coniques, et des lieux solides, pour le resoudre en tout nombre de lignes données, ainsi que le doit resoudre un homme qui se vante de nullum non problema solvere, et que ie pense l’avoir resolu. Si le Pere Scheiner fait imprimer quelque chose sur les Parhelies qu’il a observées à Rome, ie seray bien aise de le voir, et ie vous prie s’il tombe entre vos mains, de donner charge à quelque Libraire de me l’envoyer, afin que ie le puisse payer icy à son correspondant, et ie vous prie de m’addresser tousiours icy tout droit ce qu’il vous plaira de m’envoyer, sans prendre la voye de quelque autre pour m’épargner le port ; car l’obligation que je leur ay de m’envoyer vos Lettres, ne sçaurait estre si petite, que ie ne l’estime tousiours plus que l’argent.

Clerselier II, 342 AT I, 246 Premierement, Vous demandez pourquoy le Son est porté plus aisement le long d’une poutre qu’on frappe, qu’il n’est dans l’air seul : Ce que ie répons arriver, à cause de la continuité de la poutre, qui est plus grande que celle des parties de l’air : Car si vous faites mouvoir le bout de la poutre A, il est evident que vous faites mouvoir au mesme instant l’autre bout B : Mais si vous poussez l’air en l’endroit C, il faut qu’il s’avance au moins iusques à D, avant que de faire mouvoir E, à cause que ces parties obeïssent, ainsi que celles d’une éponge : Or il employe du temps en passant depuis C iusques à D, et perd cependant une partie de la force ; d’où vient que le Son qui n’est autre chose que le mouvement de l’Air, sera entendu plus viste, et plus fort au point B, qu’au point E. D’où il est facile de resoudre aussi votre quatriesme question, où vous demandez pourquoy le son s’entend beaucoup plus viste que l’air ne se peut mouvoir ; car vous voyez que poussant la partie de l’air qui estoit au poinct C, elle n’a pas dû passer iusques à E, pour y faire entendre le son, mais seulement iusques à D, et ainsi que pendant le temps que l’air a pû se mouvoir depuis C, iusques à D, le son a passé depuis C, iusques à E, qui en sera, si vous voulez mille fois plus éloigné.

Secondement, Si on suppose qu’un poids poli, estant traîné sur un Plan poli horizontal, ne le touche qu’en un seul poinct AT I, 247 indivisible, et que l’air n’empesche point du tout son mouvement, la moindre force sera suffisante pour le mouvoir, tant grand qu’il puisse estre. Et quoy que ces deux supositions soient tousiours fausses en la Nature, et que les plus gros poids et les plus pesans soient plus empeschez par l’Air, et appuyent en plus de parties sur le Plan où ils se meuvent, que les plus legers et plus petits ; toutesfois cela Clerselier II, 343 empesche de si peu leur mouvement, que lors qu’on examine en Mecanique combien il faut de force pour lever un poids, ou pour le traisner sur un Plan incliné, qui est une autre de vos questions, on suppose que l’Air, ny l’attouchement du poids sur le Plan incliné, n’empesche rien du tout : Et cela supposé, il faut moins de force à tirer le poids F, suivant la ligne DB, qu’il n’en faut à le tirer suivant la ligne BC, c’est à dire, que si DB est double de BC, il ne faut que la moitié dautant de force.

Troisiémement, Quand on pousse une bale en tournant, outre la force dont on la pousse en ligne droite, il faut encore une autre force pour la faire tourner autour de son Centre. Et de plus, l’air luy reste bien davantage que si elle ne tournoit point. 4. Ie l’ay dit. 5. Il est impossible de faire mouvoir l’archet d’une Viole, si viste que se font les tremblemens de l’air qui AT I, 248 font le son ; Mais si par impossible cela se faisoit, l’archet seul rendroit le mesme son que les cordes. 6. Ie ne voy point que la pierre qu’on a iettée, se puisse mouvoir plus viste, ny mesme du tout si viste, que la main qui la iette. Ie ne vous sçaurois dire quand ie vous envoyeray mon Monde, car ie le laisse maintenant reposer, afin de pouvoir mieux connoistre mes fautes, lors que ie le voudray mettre au net ; Ie m’en vais passer cét esté à la campagne, si vous m’écrivez, ie vous prie d’addresser vos Lettres à Monsieur. Ie suis,
MON R. P.