Clerselier II, 348 AT I, 266

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXXV.

MON REVEREND PERE,
Ie suis extremement estonné de ce que les trois Lettres que vous me m’avez fait la faveur de m’écrire, se sont perduës, et ie serois bien aise d’en pouvoir découvrir la cause ; ce que ie pourrois peut-estre faire, si vous sçaviez precisement les iours qu’elles ont esté AT I, 267 écrites, car ie sçaurois par ce moyen entre les mains duquel des deux Messagers que nous avons en cette ville elles ont dû tomber.

Pour ce que vous me mandez des deux sons qui s’entendent quelquesfois en mesme temps, lors qu’on touche une seule corde, i’ay desia bien autresfois aussi remarqué ; et ie pense que la raison est, que les cordes estant un peu fausses et inégales, il se fait en elles deux sortes de tremblemens en mesme temps, l’un desquels, à sçavoir celuy qui fait le son le plus grave, et qui est le principal, depend de toute la corde ; et l’autre, qui fait un son plus aigu, depend de l’inégalité de ses parties. Pensez, par exemple, si on pousse la corde AB, que pendant chacun de ses tours et retours qu’elle va depuis I iusques a 6. pour faire le son qui luy est naturel ; l’inégalité de ses parties cause en elle un autre moindre tremblement, qui fait qu’étant allée depuis I iusques à 2. elle retourne vers 3. AT I, 268 puis de là vers 4. et de 4. vers 5. et enfin vers 6. ce qui engendre un son plus aigu d’une douziéme, que le précédent. Tout de mesme si ce second tremblement est seulement double du premier, il fera l’Octave ; si Quadruple la Quinte ; et Clerselier II, 349 s’il est Quintuple, il fera la dix-septiesme Majeure.

Si l’experience que vous me mandez de cette Horloge sans Soleil dont vous m’écrivez, est assurée, elle est fort curieuse, et ie vous remercie de me l’avoir écrite ; mais je doute encore fort de l’effet, et toutesfois ie ne le juge point impossible ; Si vous l’avez vû, ie seray bien aise que vous me fassiez la faveur de me mander plus particulierement ce qui en est. Mon Traitté est presque achevé, mais il me reste encore à le corriger et à le décrire ; et i’apprehende si fort le travail, que si ie ne vous avois promis il y a plus de trois ans, de vous l’envoyer dans la fin de cette année, ie ne croy pas que i’en pusse de long-temps venir à bout, mais ie veux tascher de tenir ma promesse ; et cependant ie vous prie de m’aimer.

AT I, 270 I’en estois à ce point, lors que i’ay receu vostre derniere de l’onziesme de ce mois, et ie voulois faire comme les mauvais payeurs, qui vont prier leurs creanciers de leur donner un peu de delay, lors qu’ils sentent approcher le temps de leur dette. En effet, ie m’estois proposé de vous envoyer mon Monde pour ces Estrennes, et il n’y a pas plus de quinze iours que i’estois encore tout resolu de vous en envoyer au moins une partie, si le tout ne pouvoit estre transcrit en ce temps-là : mais ie vous diray, que m’estant fait enquerir ces iours à Leyde et à Amsterdam, si le Sisteme du Monde de Galilée n’y estoit point, à cause qu’il me sembloit avoir appris qu’il avoit esté imprimé en Italie l’année passée ; On m’a mandé qu’il estoit vray qu’il avoit esté imprimé, mais que tous les Exemplaires en avoient esté brûlez à Rome au mesme temps, et luy condamné à quelque amande : ce qui m’a si fort estonné, que ie me suis quasi resolu de brûler AT I, 271 tous mes papiers, ou du moins de ne les laisser voir à personne. Car ie ne me suis pû imaginer, que luy qui est Italien, et mesme bien voulu du Pape, ainsi que i’entens, ait pû estre criminalizé pour autre chose, sinon qu’il aura sans doute voulu establir le mouvement de la Terre, lequel ie sçay bien avoir esté autresfois censuré par quelques Cardinaux ; Clerselier II, 350 Mais ie pensois avoir oüy dire, que depuis on ne laissoit pas de l’enseigner publiquement, mesme dans Rome, et ie confesse que s’il est faux, tous les fondemens de ma Philosophie le sont aussi, car il se demonstre par eux evidemment. Et il est tellement lié avec toutes les parties de mon Traitté, que ie ne l’en sçaurois détacher, sans rendre le reste tout defectueux. Mais comme ie ne voudrois pour rien du monde qu’il sortit de moy un discours, où il se trouvast le moindre mot qui fust desaprouvé de l’Eglise ; aussi aymé ie mieux le supprimer, que de le faire paroistre estropié. Ie n’ay iamais eu l’humeur portée à faire des Livres, et si ie ne m’estois engagé de promesse envers vous, et quelques autres de mes Amis, afin que le desir de vous tenir parole, m’obligeast d’autant plus à estudier, ie n’en fusse iamais venu à bout ; Mais, après tout, ie suis assuré que vous ne m’enverriez point de sergent, pour me contraindre à m’acquitter de ma dette, et vous serez peut-estre bien aise d’estre exempt de la peine de lire de mauvaises choses. Il y a desia tant d’opinions en Philosophie qui ont de l’apparence, et qui peuvent estre soutenuës en dispute, que si les miennes n’ont rien de plus certain, et ne peuvent estre approuvées sans controverse, ie ne les veux AT I, 272 iamais publier. Toutesfois, pource que i’aurois mauvaise grace, si apres vous avoir tout promis, et si long-temps, ie pensois vous payer ainsi d’une boutade, ie ne laisseray pas de vous faire voir ce que i’ay fait, le plutost que ie pourray ; mais ie vous demande encore, s’il vous plaist un an de delay pour le revoir et le polir ; Vous m’avez averty du mot d’Horace, nonumque prematur in annum, et il n’y en a encore que trois que i’ay commencé le Traitté que ie pense vous envoyer ; ie vous prie aussi de me mander ce que vous sçavez de l’affaire de Galilée. Pour votre question, ie n’y trouve rien à dire plus qu’aux autres fois, à sçavoir que la corde ABC, allant et retournant de C Clerselier II, 351 iusques à D, fait son ton naturel, et de plus en passant de C à D, fait trois autres petits retours CE, EF, FD, qui causent la resonance d’une douziesme plus haute. Pour ce qui est de dire si les cordes qui font cela sont fausses ou non, ie pense vous avoir desia mandé qu’elles sont moins fausses que celles qui pourroient avoir un raisonnement plus dissonant, mais qu’elles ne laissent pas de l’estre plus, que celles qui n’ont qu’un seul son tout net, et tout égal ; et il peut y avoir de la fausseté dans les tuyaux et en tous les autres Cors resonans, aussi bien que dans les cordes. Ie suis,