MON REVEREND PERE,
Ie commençois à estre en peine de ne point recevoir de vos nouvelles, mais ie pensois que vous seriez peut-estre si empesché à l’impression du Livre dont vous m’aviez cy-devant escrit. Le sieur B, vint icy Samedy au soir, qui me presta le livre de Galilée, et il l’a remporté ce matin, en sorte que ie ne l’ay eu entre les mains que AT I, 304 trente heures ; Ie n’ay pas laissé de le feüilleter tout entier, et ie trouve qu’il philosophe assez Clerselier II, 355 bien du Mouvement, non pas toutesfois que i’approuve que fort peu de ce qu’il en dit, mais autant que i’en ay pû voir, il manque plus en ce où il suit les opinions desia receuës , qu’en ce où il s’en éloigne ; excepté toutesfois en ce qu’il dit du flus et du reflus, que ie concoy tout autrement qu’il ne l’explique, encore que ie fasse aussi bien que luy, qu’il depend du Mouvement de la Terre. Ie n’ay pas laissé d’y remarquer par cy par là quelques-unes de mes pensées, comme entr’autres deux, que ie croy avoir écrites, à savoir que l’Espace que parcourent les Cors pesans qui descendent, sont l’un à l’autre comme les quarrez des temps qu’ils employent à descendre. Comme si une bale employe trois momens à descendre depuis A iusques à B, qu’elle n’en employera qu’un, à continuer de B iusques à C, ce que AT I, 305 ie disois avec beaucoup de restrictions. Car en effet, il n’est iamais entierement vray, comme il pense le demonstrer. La seconde est, que les tours et retours d’une mesme corde, se font tous à peu prés en pareil temps, encore qu’ils puissent estre beaucoup plus grands les uns que les autres. Ses raisons pour prouver le Mouvement de la Terre sont fort bonnes, mais il me semble qu’il ne les estale pas comme il faut pour le persuader ; car les digressions qu’il méle parmy, font qu’on ne se souvient plus des premieres, lors qu’on lit les dernières.
Pour ce qu’il dit d’un canon tiré parallelement à l’Horison, si vous en faites bien l’experience, ie croy que vous y trouverez sensiblement de la difference. Pour les autres choses que vous m’écrivez ie n’ay pas le loisir d’y penser ; aussi qu’il m’est impossible de répondre determinement à aucune question de Physique qu’aprés avoir expliqué tous mes Principes, ce que ie ne puis sans le Traitté que ie me resous de supprimer.
MON R. P.
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.