A MONSIEUR ***

LETTRE XCIX.

MONSIEUR,
Il y a veritablement long-temps que i’ay receu vos dernieres du 20. Avril, mais soit à cause qu’elles ne contiennent rien à quoy ie iugeasse qu’il fust necessaire que ie répondisse fort promptement, soit à cause que i’ay tousiours esté diverty par quelques petites occupations, ie ne sçay comment i’ay differé iusques à present à vous écrire ; et toutesfois i’ay beaucoup de sujet de vous remercier, pour la permission que vous me donnez d’inferer vos objections entre celles que i’ay dessein de faire imprimer. Et pour ce qui est de celles qui regardent la Circulation du Sang, que vous aimez mieux que i’obmette, i’en feray entierement comme il vous plaira ; Mais i’en iuge plus avantageusement que vous ne faites, et ie puis dire qu’elles sont des plus fortes que i’aye receuës : C’est pourquoy si vous le trouvez bon, i’aimerois mieux qu’elles demeurassent comme elles sont, sinon que vous y fissiez inserer quelques mots par cy par là, où ils viendront à propos, pour témoigner que vous les proposez par exercice d’esprit, ou pource que ie vous en ay prié, plutost Clerselier II, 457 que pour ce que vous les iugez veritables. Mais i’auray encore tout loisir d’en apprendre vostre volonté, avant que i’en fasse rien imprimer ; car ie ne commenceray pas de plus de trois mois. Et de ces deux pacquets d’objections que ie receus de France, au mesme temps que ie vous écrivis mes precedentes, le plus gros, lequel ie iugeois au papier et à l’écriture devoir estre le Principal, s’est trouvé ne contenir que des niaiseries entassées avec beaucoup de soin, par quelqu’un qui a voulu faire le sçavant, et l’homme d’esprit, sans estre ny l’un ny l’autre ; en sorte que ie ne l’ay pas iugé digne d’estre imprimé, ny mesme que i’y fisse aucune réponse ; et ie n’en ay point encore assez d’autres pour remplir un iuste volume. Ie vous prie de remercier aussi de ma part le Reverend Pere Ciermans, de ce qu’il agrée que ce qu’il a pris la peine de m’écrire soit imprimée : Et pour ce qui est d’y mettre son nom, ie n’en ay aucune intention, ny n’ay esperé qu’il me le dust permettre, vû qu’il n’avoit pas mesme voulu que ie le sceusse. Mais ie seray bien aise d’apprendre à vostre commodité, ce qu’il aura dit de mes réponses, et comment elles l’auront satisfait. Pour Monsieur F. il me reste encore un peu de scrupule, de faire imprimer quelque chose de luy avec son nom, sans son expresse permission ; car ne mettant point moy-mesme le mien en mes Ecrits, il me semble que ie ne dois pas y mettre si librement celuy des autres. Mais ie suivray entierement en cela vostre conseil : car ie supposeray qu’il se rapporte à sa volonté. Ie suis,
MONSIEUR,
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.