A MONSIEUR ******.
LETTRE XI. Version.
MONSIEUR,
Ie differois de répondre à ce que vous m’avez ecrit dernierement, Clerselier II, 56 pource que ie n’avois rien à vous dire que ie crusse vous devoir estre fort agreable ; Mais auiourd’huy que ie m’y voy invité par celuy-là mesme qui est associé avec vous au Rectorat, ie vous diray librement ma pensée : Car si vous aimez la Verité, et si vous estes sincere, la liberté de mon discours vous sera plus agreable que n’auroit esté mon silence.
Ie vous redemanday l’année passée mon Traitté de Musique, non pas à la verité que i’en eusse besoin, mais pource qu’on m’avoit dit que vous en parliez, comme si vous me l’eussiez apprise ; Toutefois ie ne voulus point vous en écrire aussi-tost, de peur de paroistre trop défiant , si ie doutois de la fidelité d’un Amy sur le simple rapport d’autruy. Mais maintenant que par plusieurs autres témoignages i’ay reconnu que vous preferez une vaine ostentation à la verité, et à l’Amitié qui a esté iusques icy entre nous ; ie veux vous donner icy un petit mot d’Avis, qui est, que si vous vous vantez d’avoir enseigné quelque chose à quelqu’un, encore que ce que vous dites soit veritable, cela ne laisse pas d’estre odieux ; mais si ce que vous dites est contre la verité, il est encore plus odieux ; Et enfin si vous avez appris de luy la chose mesme que vous vous vantez luy avoir apprise, certainement cela est tout à fait odieux. Mais sans doute que la civilité du stile François vous a trompé, et que vous ayant souvent témoigné de bouche et par écrit, que i’avois appris plusieurs choses de vous, et que i’esperois mesme encore tirer beaucoup de profit de vos observations, vous n’avez point crû me faire tort de confirmer par vos discours une chose que ie ne faisois point difficulté de publier moy-mesme : Quant à moy, ie me soucie fort peu de tout cela ; mais la defference que j’ay encore pour nostre ancienne amitié m’oblige a vous avertir que lors que vous vous vantez de quelque chose de semblable devant ceux qui me connoissent, cela nuit beaucoup à vostre reputation : Car ne pensez pas qu’ils croyent rien de tout ce que vous leur dites, mais croyez plustost qu’ils se moquent de vostre Vanité ; Et il ne vous sert de rien de leur Clerselier II, 57 monstrer les témoignages que i’en donne dans mes lettres : Car il n’y en a pas un qui ne sçache que i’ay mesme coustume de tirer instruction des fourmis et des vermisseaux ; et ils ne croiront iamais que j’aye pû rien apprendre de vous, si ce n’est de la mesme maniere que i’ay coustume d’apprendre des moindres choses de la nature. Si vous prenez cecy en bonne part, comme vous le devez, ie n’appelleray le passé qu’une erreur, et non pas une faute, et cela n’empeschera pas que ie ne sois comme auparavant vostre serviteur. Adieu.