AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XLI.

MON REVEREND PERE,
Ie pris mon temps si court pour vous écrire il y a AT III, 143 huit iours, que ie n’eus pas le loisir de répondre à tous les points de vostre derniere, et i’en demeuray au neufiéme, où vous parlez des plis de la Memoire, lesquels ie ne crois point devoir estre en fort grand nombre, pour servir à toutes les choses Clerselier II, 243 Clerselier II, 243 (béquet) dont nous nous pouvons souvenir, à cause qu’un mesme ply sert à toutes les choses qui se ressemblent ; et qu’outre la Memoire corporelle, dont les images peuvent estre representées par ces plis du Cerveau, ie trouve qu’il y a encore en nostre Entendement une autre sorte de Memoire, qui ne depend point des organes du Cors, et qui ne se trouve point dans les Bestes ; et c’est d’elle particulierement que nous nous servons.

AT III, 144 Pour le Flus de la Mer quoy qu’il dépende entierement de la suite de mon Monde, et que ie ne le puisse bien expliquer separement ; toutesfois à cause que ie ne vous puis rien refuser, ie tâcheray d’en dire icy grossierement quelque chose. Soit T la Terre, EFGH l’Eau qui est au dessus de cette Terre, L la Lune, ABCD le Ciel, que ie conçoy comme une Liqueur qui tourne continuellement au Clerselier II, 244 tour de la Terre, en sorte qu’il n’y a rien du AT III, 145 tout qui la soûtienne au lieu où elle est, que le mouvement circulaire de cette Liqueur, lequel la retiendroit tousiours exactement dans le Centre de ce Ciel, si la Lune ne l’empeschoit point : Car la mesme Matiere qui passe vers B, passant aussi vers C et vers D, auroit besoin d’autant d’Espace d’un costé de la Terre, que de l’autre ; et ainsi la presseroit également de tous costez. Mais si la Lune se trouvant dans le Ciel vers sa Superficie, par exemple au point L, et ne tournant pas si viste que luy, elle est cause que la Matiere du Ciel presse un peu davantage la Terre vers E, que vers F, ny vers H, au moyen dequoy cette Terre sort quelque peu du Centre du Ciel, et s’approche vers N ; ce qui fait que l’Eau qui est vers G, est aussi un peu plus pressée et abaissée, que celle qui est vers F, ou vers H. Or à cause que la Terre tourne en vingt-quatre heures autour de son Centre, le mesme endroit de cette Terre qui est maintenant au point E, où il y a basse Marée, sera dans six heures au point F, où il y a haute Marée, et dans douze heures au point G, où il y a derechef basse Marée. Et de plus à cause que la Lune fait aussi le mesme tour presque en trente jours, il faut adjoûter environ deux cinquiesmes parties d’une heure à chaque Marée ; en sorte qu’elle employe environ douze heures et vingt-quatre minutes à monter, et à descendre en chaque lieu.

AT III, 146 Outre cela ie trouve que le Ciel LMNO n’est pas exactement rond, mais un peu en ovale, et que la Lune estant Pleine, ou Nouvelle, se trouve dans le plus petit Diametre de cette Ovale, ce qui est cause que les Marées sont plus grandes alors, qu’aux autres temps. Au reste ie ne serois pas bien aise que cecy fust publié ny sceu de plusieurs, à cause que c’est une partie de mon Monde, et que si iamais il voit le jour, il est bon que la grace de la nouveauté s’y trouve encore.

AT III, 147 Ie ne sçay quelle Réponse ie fis dernierement au billet de Messieurs vos Medecins : car ie la fis si à la haste, que ie Clerselier II, 245 Clerselier II, 245 (béquet) Clerselier II, 245bis (béquet) Clerselier II, 245ter (béquet) n’eus pas le temps de la revoir ; mais vous m’obligerez s’il vous plaist, lors que vous m’envoyerez ainsi quelque Ecrit, de m’apprendre plus particulierement quelles personnes ce sont, et leurs noms, afin que ie sçache mieux de quelle façon ie me dois comporter en leur répondant. Et pour l’Autheur de ce Billet, ie croy luy avoir de l’obligation de ce qu’il s’adresse à moy, pour avoir éclaircissement de ce que i’ay écrit : car cette procedure est bien plus honneste et plus iuste que celle de N. qui a tâché de persuader à ses Auditeurs que i’ay écrit des choses ausquelles ie n’ay iamais pensé, afin de les pouvoir refuter. Ie suis.