AT III, 175

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XLII.

MON REVEREND PERE,
Il y a environ quinze jours que ie pensois vous envoyer les Lettres qui precedent ; Mais ie fus inopinément hors la Ville avant que de les avoir fermées, ce qui est cause qu’elles sont demeurées icy iusqu’à present, et i’ay receu depuis trois autres de vos Lettres. Ie vous remercie des bons advis que vous me donnez en la premiere touchant mon Traité de Metaphysique, où ie croy n’avoir presque rien obmis de ce qui est necessaire pour demonstrer la Verité, laquelle estant une fois bien connuë, toutes les Objections particulieres qu’on peut faire n’auront point de force. AT II, 176 Ie croy que M. de Z. se porte bien, il n’y a pas long temps que i’ay eu de ses nouvelles de l’armée, où il est encore, et il me mandoit que vous luy aviez envoyé les Theses du Pere B. qu’il m’auroit envoyées, sinon qu’elles se trouverent égarées au temps qu’il m’écrivoit ; ce qui me fait croire qu’il n’a point receu les Caracteres des Passions, ny aucun autre Livre que Clerselier II, 246 vous luy avez envoyé pour moy, car il me les auroit envoyez. Ils ont eu une mauvaise Campagne cette année. Ie ne répons point icy à quelques questions que vous me faites touchant le Iet de eaux, et autres questions Mechaniques, à cause qu’estant en des pensées tres-éloignées de celles-là, i’ay peur de m’y méprendre, et ie dois faire moy-mesme quelques Experiences pour en bien sçavoir la verité. Toute la graine Sensitive que vous nous avez envoyée n’a point levé, mais on en a receu d’autre icy cét Esté, qui leva incontinent dans le Iardin d’un homme de cette Ville, où ie l’ay veuë, et ie croy qu’elle y est encore. Il est certain que les Missiles ne reçoivent point AT II, 177 tout leur mouvement en un instant, mais que la main, ou l’arc, ou la poudre qui les pousse, augmente sa vitesse pendant certain Espace de temps, et que pendant cela le Missile reçoit cette mesme vitesse. Pour la Matiere subtile, ie croy que c’est environ la mesme qui revient vers nous, aprés avoir fait le tour de la Terre, non pas en vingt-quatre heures, mais en plus ou moins, selon qu’elle va plus viste que la Terre, qui est une chose fort difficile à determiner. Pour l’Aiman, ce ne peut estre que la seule Matiere subtile qui luy donne ses qualitez, et ie ne les puis bien expliquer l’une sans l’autre, ny toutes dans une Lettre. Il s’en faut beaucoup que les Lunettes à Puce puissent faire voir des Pores ou Tuberositez sur le Verre, quoy que non poly, car ces Pores sont trop petits à comparaison de la force de ces Lunettes, si ce n’est qu’elles fussent incomparablement plus parfaites que celles que nous avons, et la superficie du Verre est tousiours polie de soy-mesme, encore qu’elle ne l’ait pas esté par l’Art.

AT II, 178 Ie n’ay point de haste de voir le Livre de Geometrie qu’on vous a donné pour moy ; car ie ne pers pas encore le dessein de passer en France, et l’Hyver ne m’en empeschera pas ; mais ce ne sera pas encore de six semaines que ie partiray. Ie me soucie fort peu des efforts du Pere N. et ie n’ay pas peur de ne pouvoir répondre à tout ce qu’il dira ou écrira contre moy : Mais ie vous prie que le Pere recteur reçoive Clerselier I, p. 247 la Lettre que ie luy ay écrite, et qu’il voye aussi celle que ie vous envoye en Latin avec celle-cy ; Et ie seray aussi bien aise que plusieurs autres les voyent, et sçachent que le Recteur les aura veuës, ou refusé de voir, afin qu’il ne le puisse dissimuler.

Il n’y a aucune comparaison entre une Bale qui vient d’A vers B, et un Baston AB, poussé d’A vers B ; Car la Bale estant toute en B, et ayant à continuer son mouvement, ne le peut faire sans remonter, comme vous pourrez voir en faisant AB perpendiculaire sur EC, car alors la bale ne va ny à droit AT II, 179 ny à gauche, mais elle remonte seulement en haut, au lieu que le baston qui est conduit de la main coule de B, vers C, comme sur un Plan incliné, et acquiert continuellement une nouvelle determination à cela, par la main qui le conduit. Mais si vous supposez, qu’il soit ietté de la main contre EC, en sorte qu’elle ne luy touche plus, lors qu’il est en l’endroit AB, alors son extremité B reflechira vers D, bien que son extremité A, descende encore vers EC, au moyen dequoy il se détournera, et prendra un mouvement composé de ces deux. Pour les Cors mols qui ne rejaillissent point, c’est toute une autre raison, et i’ay supposé seulement parler de ceux qui ne perdent rien du tout de leur force en rejaillissant.

Vous avez raison contre Galilée, de dire que la figure des Cors plus pesans que l’Eau les peut empescher AT II, 180 de descendre, et votre exemple des Metaux dissous en l’Eau forte est sans replique. Ie ne doute point que le Caput mortuum des Chimistes ne se puisse tout resoudre en sel, en eau, en huile, et en Matiere plus subtile, en le digerant avec quelques dissolvans qui soient propres à cét effet. Pour la grandeur des Estoiles, Lansbergius les fait incomparablement plus grandes que le Soleil ; mais pour moy ie ne les iuge qu’environ de la mesme grosseur. Et ie ne conçoy qu’une seule Cause en tout l’Univers qui fait que la Terre se meut en Clerselier II, 248 vingt-quatre heures autour de son Centre, en un an autour du Soleil, Iupiter en douze ans, Saturne en trente, et ainsi des autres, selon leurs diverses Situation ; Mais tout cecy ne se peut bien entendre que dans mon Monde, ny aussi toutes les difficultez qu’on peut avoir de la Lumiere. Ie croy que la plus grande force d’une épée est comme vous dites entre son Centre de Gravité et sa Pointe ; Et que l’endroit où elle est, est d’autant plus proche de la pointe, qu’on frape avec plus de force, et d’autant plus proche du Centre de Gravité que le coup est plus foible. L’Impetus imprimé en une Bale d’Arquebuze n’est AT II, 181 point different de sa vitesse, et ainsi la raison pour prouver qu’elle va plus viste à trente pas, qu’à deux ou trois, me semble nulle, comme aussi ie doute de l’effet. Il est certain que tout ce qu’on conçoit distinctement est possible, car la Puissance de Dieu s’estend plus loin que nostre Esprit. Ie suis.