AT III, 230

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XLV.

MON REVEREND PERE,
Ie vous remercie des nouvelles du sieur N. AT III, 231 ie n’y trouve rien d’estrange, sinon qu’il ait ignoré ce que ie vous suis ; car il n’y a personne icy qui me connoisse tant soit peu qui ne le sçache : C’est le plus franc Pedant de la terre, et il creve de depit, de ce qu’il y a un Professeur en Medecine en leur Academie d’Utrecht, qui fait profession ouverte de ma Philosophie, et fait mesme des Leçons particulieres de Physique, et en peu de mois rend ses Disciples capables de se moquer entierement de la vieille Philosophie. Voëtius et les autres Professeurs ont fait tout leur possible pour luy faire defendre par le Magistrat de l’enseigner ; mais tout au contraire le Magistrat luy a permis malgré eux. Ce Voëtius a gasté aussi la Damoiselle de Schurmans ; car au lieu qu’elle avoit l’esprit excellent pour la Poësie, la Peinture, et autres telles gentillesses, il y a desia cinq ou six ans qu’il la possede si entierement, qu’elle ne s’occupe plus qu’aux Controverses de la Theologie, ce qui luy fait perdre la conversation de tous les honnestes gens ; et pour son frere, il n’a iamais esté connu que pour un homme de petit Esprit. I’ay fait rendre Clerselier II, 263 une Lettre pour Voëtius au Messager, afin qu’il en paye le port, comme si elle n’estoit point venuë sous couvert, et que vous soyez par là un peu vangé des six livres qu’il vous a fait payer pour ses Theses.

Pour la Philosophie de l’Ecole, ie ne la tiens nullement AT III, 232 difficile à refuter, à cause des diversitez de leurs opinions ; car on peut aisement renverser tous les fondemens desquels ils sont d’accord entr’eux ; et cela fait, toutes leurs disputes particulieres paroissent ineptes. I’ay acheptéacheté la Philosophie du frere Eust. à sancto P. qui me semble le meilleur Livre qui ait iamais esté fait en cette Matiere, ie seray bien aise de sçavoir si l’Autheur vit encore.

Vostre supputation de la force de la presse, composée avec la pesanteur, est fort bonne, et ie n’y sçaurois rien adiouster. Pour la Vis d’Archimede, elle n’a point d’autre raison, sinon que le creux ou la concavité qui contient l’eau, monte tousiours, à mesure que la Vis tourne : Car par exemple le creux A, dans lequel est l’eau, sera monté à B, lors que la Vis aura fait un tour, et cette eau ne peut sortir de ce creux, pendant que la Vis tourne, ou bien il faudroit qu’elle montast ; car A est plus bas que C et D, et B est aussi plus bas que C et E.

Ie répondrois tres-volontiers à ce que vous demandez touchant la flame d’une Chandelle, et choses semblables ; mais ie voy bien que ie ne vous pourray iamais bien satisfaire touchant cela, iusques à ce que AT III, 233 vous ayez veu tous les principes de ma Philosophie, et ie vous diray que ie me suis resolu de les écrire avant que de partir de ce Païs, et de les publier peut-estre avant qu’il soit un an, et mon dessein est d’écrire par ordre tout un Cours de ma Philosophie en forme de Theses, ou sans aucune superfluité de discours, ie mettray seulement toutes mes conclusions, avec les vrayes raisons Clerselier II, 264 d’où ie les tire, ce que ie croy pouvoir faire en fort peu de mots ; et au mesme Livre, de faire imprimer un Cours de la Philosophie ordinaire, tel que peut estre celui du Frere Eustache, avec mes Notes à la fin de chaque question, où i’adjousteray les diverses opinions des autres, et ce qu’on doit croire de toutes, et peut-estre à la fin ie feray une comparaison de ces deux Philosophies ; Mais ie vous supplie de ne rien encore dire à personne de ce dessein, sur tout avant que ma Metaphysique soit imprimée ; car peut-estre que si les Regens le sçavoient, ils feroient leur possible pour me donner d’autres occupations, au lieu que quand la chose sera faite, i’espere qu’ils en seront tous bien aises. Cela pourroit aussi peut-estre empescher l’approbation de la Sorbonne, que ie desire, et qui me semble pouvoir extrémement servir à mes desseins : Car ie vous diray que ce peu de Metaphysique que ie vous envoye, contient tous les Principes de ma Physique. La raison pour la Divinité, du Livre dont vous m’écrivez, que si le Soleil a luy eternellement, il n’a pû illuminer un Hemisphere avant l’autre, etc. ne prouve AT III, 234 rien, sinon que nostre Ame estant finie, ne peut comprendre l’infiny. Ie vous ay desia écrit que i’ay veu quatre des discours que vous avez fait écrire pour M. Huygens, i’auray soin de luy demander encore celuy du flux et reflux, et celuy de la reflexion. Ie verray aussi le Cours de Philosophie de M. Draconis, qui ie croy se trouvera icy : Car s’il estoit plus court que l’autre, et autant receu, ie l’aimerois mieux, mais ie ne veux rien faire en cela sur les écrits d’un homme vivant, si ce n’est avec sa permission, laquelle il me semble que ie devrois aisément obtenir, lors qu’on sçaura mon intention, qui sera de considerer celuy que ie choisiray, comme le meilleur de tous ceux qui ont écrit de la Philosophie, et de ne le reprendre point plus que tous les autres. Mais il n’est point temps de parler de cecy, que ma Metaphysique n’ait passé.

Pour la vitesse des Bales qui sortent d’un Mousquet, ie croy qu’elle est plus grande en sortant de la bouche du Canon qu’en aucun autre lieu, et la raison que vous m’écrivez Clerselier II, 265 est du tout nulle ; car l’impetuosité qui est dans la bale ne sert qu’à luy faire conserver son mouvement, et non point à l’augmenter, au lieu que la Pesanteur produit à chaque moment une nouvelle impetuosité, et ainsi augmente la vitesse. Ie suis bien aise de ce que M. le Cardinal de Bagné se souvient encore de moy, il luy faudra envoyer ma Metaphysique lors qu’elle sera imprimée. Il n’est point AT III, 235 besoin que vous m’addressiez rien pour M. de Zuytlichem, mais plutost lors que vous m’envoyerez quelque paquet un peu gros vous luy pourrez addresser, pendant qu’il n’est point à l’Armée ; Car i’ay pris garde qu’on me rend icy souvent de vos Lettres qui ont esté ouvertes, ce que i’attribuë à l’infidelité du Messager, qui s’accorde avec quelqu’un qui est curieux de sçavoir ce que vous m’écrivez. Le bon est qu’il n’y a iamais rien qui ne puisse bien estre vû. I’ay envoyé dés hier ma Metaphysique à M. de Zuytlichem pour vous l’adresser ; mais il ne l’envoyera que dans huit iours, car ie luy ay donné ce temps pour la voir. Ie n’y ay point mis de Titre, mais il me semble que le plus propre sera de mettre Renati Descartes Meditationes de prima Philosophia ; Car ie ne traitte point en particulier de Dieu et de l’Ame, mais en general de toutes les premieres choses qu’on peut connoistre en philosophant. Vous verrez assez par les Lettres que i’y ai iointes quel est mon dessein ; et ie n’en diray icy autre chose sinon que ie croy qu’il n’y aura pas de mal, avant que de la faire imprimer, de stipuler avec le Libraire qu’il nous en donne autant d’Exemplaires que nous en aurons de besoin ; et mesme qu’il les donne tout reliez ; car il n’y a pas plaisir d’acheter ses propres Ecrits, et ie m’assure que le Libraire pourra bien faire cela sans y perdre ; Ie n’auray besoin icy que d’environ trente Exemplaires ; pour Paris, c’est à vous de juger combien il nous en faudra. Ie suis, M. R. P.

De Leyde le 11. Novembre 1640.