Clerselier II, 266 AT III, 237

A UN REVEREND PERE
Docteur de Sorbonne.

LETTRE XLVI.

MONSIEUR ET REVEREND PERE,
L’honneur que vous m’avez fait il y a plusieurs années, de me témoigner que mes sentimens touchant la Philosophie, ne vous sembloient pas incroyables, et la connoissance que i’ay de vostre singuliere doctrine, me fait extrémement desirer, qu’il vous plaise prendre la peine de voir l’écrit de Metaphysique, que i’ay prié le Reverend Pere Mersenne de vous communiquer. Mon opinion est que le chemin que i’y prens, pour faire connoistre la Nature de l’Ame humaine, et pour demonstrer l’Existence de Dieu, est l’unique par lequel on en puisse bien venir à bout ; Ie juge bien qu’il auroit pû estre beaucoup mieux suivy par un autre, et que i’auray obmis plusieurs choses qui avoient besoin d’estre expliquées, mais ie me fais fort de pouvoir remedier à tout ce qui manque, en cas que i’en sois averty, et de rendre les preuves dont ie me sers si evidentes et si certaines, qu’elles pourront estre prises pour des Demonstrations. Il y manque toutesfois encore un poinct, qui est, que ie ne puis faire que toutes sortes d’esprits soient capables de les entendre, ny mesme qu’ils prennent la peine de les lire avec attention, si elles ne leur sont recommandées par d’autres que par moy ; Et d’autant que ie ne sçache personne au monde qui puisse plus en cela que Messieurs de Sorbonne, AT III, 238 ny de qui i’espere des iugemens plus sinceres, ie me suis proposé de chercher particulierement leur protection ; Et pource que vous estes l’un des principaux de leur Cors, et que vous m’avez toûjours fait l’honneur de me témoigner de l’affection ; Et sur Clerselier II, 267 tout à cause que c’est la cause de Dieu que i’ay entrepris de deffendre, i’espere beaucoup d’assistance de vous en cecy, tant par vostre conseil, en avertissant le Pere Mersenne de la façon qu’il doit ménager cette affaire, que par vostre faveur, en me procurant des Iuges favorables, et en vous mettant de leur nombre. En quoy vous m’obligerez à estre passionnément toute ma vie,
MONSIEUR, ET R. P.
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.