A MESSIEURS LES CURATEURS
de l’Academie, et de la Ville de Leyde.
LETTRE XXI. Version.
MESSIEURS,
Comme ie tiens à tres-grand honneur, la faveur que vous Clerselier II, 150 m’avez faite d’avoir eu quelque égard à mes Lettres, et d’y avoir répondu avec tant d’honnesteté ; De mesme aussi ie m’étonne fort de ce que ie ne puis comprendre vostre pensée, ou plutost, de ce que ie n’ay pû exposer la mienne assez clairement, pour vous donner à entendre ce que ie desirois de vous. Car ie voy que vous me priez que ie m’abstienne de parler et d’agiter davantage cette Question que i’ay dit avoir esté impugnée par deux de vos Theologiens. Mais permettez moy de vous dire que ie ne sçache point avoir iamais dit qu’ils ayent impugné aucune de mes opinions, ou du moins aucune dont i’aye fait bruit, et dont ie me sois vanté. Mais ie me suis plaint, de ce que par une Calomnie noire et tout à fait inexcusable, ils m’ont attribué à dessein dans leurs Theses, des choses que ie n’ay iamais écrittes ny pensées. Par exemple ; I’ay écrit que Dieu est tres-grand, et plus grand sans comparaison de toutes les Creatures ; Et vostre Regent au contraire feint que i’aye écrit, Que l’Idée de nostre libre Arbitre est plus grande que l’Idée de Dieu, ou bien que nostre libre Arbitre est plus grand que Dieu mesme ; et par cette médisance puerile, il m’attribuë plus que le Pelagianisme. De plus i’ay écrit que Dieu n’est point Trompeur, et mesme qu’il repugne entierement qu’il puisse estre Trompeur ; Et vostre Principal Regent de Theologie assure que ie tiens Dieu pour un Imposteur, et pour un Trompeur, et ainsi il me fait passer pour un Blasphemateur. Voila dequoy ie me suis plaint. Ce n’est pas que ie ne veüille bien que mes opinions soient examinées par vos Professeurs, ou par toute autre sorte de personnes ; Car au contraire, lors que ie les ay donné au public, i’ay supplié toutes les personnes de Lettres de se donner la peine de les examiner, afin que si i’estois tombé dans quelque erreur, elles me fissent la faveur de me les monstrer, où si i’avois rencontré la verité en quelque chose, qu’elles n’en eussent point de Ialousie. Or voyant que vos deux ThologiensThéologiens m’inpugnoient aucunes de mes opinions, mais seulement qu’ils m’en attribuoient quelques-unes, qui sont fort éloignées de ma pensée, i’ay bien crû Clerselier II, 151 qu’il m’estoit permis de leur répondre par un écrit public, et par ce moyen de faire connoistre à tout le monde leur malice et leur calomnie. (Car ie ne pense pas qu’ils soient venus à ce point d’orgueil, que de croire qu’il leur soit permis, ou mesme qu’il leur ait esté permis de nous attaquer par des écrits publics, et de nous charger d’injures outrageuses, sans qu’à nous autres chetifs et miserables il nous soit presque permis d’ouvrir la bouche pour la iuste et legitime deffense de nostre honneur : Cela seroit contre tout droit des gens, et l’on n’a mesme iamais vû dans pas un siecle, ny parmy aucune Nation, du moins qui se vantast d’estre libre, qu’il fust permis à des personnes d’en calomnier d’autres publiquement, sans qu’il leur fust aussi permis de les accuser publiquement de leurs calomnies.) Mais dautant que i’aurois pû negliger de si lâches et de si ridicules Calomniateurs, n’estoit qu’ils sont parmy vous dans des Emplois qui leur donnent quelque Authorité ; Et par consequent, quand i’aurois voulu mépriser leurs propres Noms, (que ie ne rendray iamais plus celebres en les attaquant à découvert, de peur que l’amour d’un pareil chastiment n’en portast d’autres à une semblable médisance,) il me les eust tousiours fallu designer par ceux qui leur donnent chez vous cette Authorité ; I’ay crû que cela ne pouvoit estre honnorable à vostre Academie ; C’est pourquoy i’ay mieux aimé vous donner advis de ce qui se passoit ; non que cela me fust advantageux. Car ie pouvois bien toûjours me vanger de telles injures par d’autres voyes tres-faciles et tres-iustes ; Mais pour ne rien faire qui vous pust déplaire, et pour vous témoigner qu’aprés de si grandes injures receuës, ie me contenterois d’une mediocre Satisfaction, pourveu seulement qu’elle fust telle, qu’elle reparast le tort qui a esté fait à mon Honneur. Mais pardonnez-moy, si ie dis, que ie ne puis reconnoistre la moindre ombre de satisfaction dans vos lettres ; Car vous me mandez avoir tres-expressément deffendu à tous, et à chacun de vos Professeurs en particulier, de faire le moins du monde mention de Moy ou de mes Opinions dans leurs exercices Academiques. Ie ne pense Clerselier II, 152 pas avoir rien fait qui merite cela de vous. Et ie n’ay iamais crû qu’aucune de mes opinions fust si abominable, et qui plus est si infame, et ie n’ay iamais aussi ouy dire que les autres les ayent tenuës pour telles, qu’il ne fust pas mesme permis d’en parler. Il n’y a que les personnes detestables, et les Scelerats de la Terre, qu’on tienne pour des Infames, c’est à dire pour des personnes dont il n’est pas mesme permis de proferer le Nom. Croyez-vous donc que desormais ie doive estre estimé pour tel parmy tous vos Professeurs. Cela ne me peut encore tomber en la pensée ; Mais plutost ie me persuade que ie ne comprens pas bien le sens de vos Lettres. De mesme aussi lors que vous demandez que ie m’abstienne de parler et d’agiter davantage cette Question que vous dites avoir esté impugnée par les vostres, ie ne puis encore comprendre vostre demande. Voudriez-vous donc qui ie ne creusse pas que Dieu est plus grand que toutes les Creatures ensemble, et qu’il ne peut estre Trompeur ; Car ç’a tousiours esté mon opinion ; et ie n’en ay iamais parlé autrement. Ou bien voudriez-vous que ie ne me deffendisse point de ces monstres d’Opinion qui m’ont esté faussement attribuez par les vostres : Car comme i’en ay tousiours esté tres-éloigné, on ne sçauroit desirer de moy que ie m’abstienne d’en parler davantage, et de les publier. C’est pourquoy ie vous conjure autant que ie puis, que si ie ne conçois pas bien encore le sens de vos paroles, vous ne vous rebutiez point, en me l’expliquant, de soulager la tardiveté de mon Esprit. Et si par cy-devant ie ne me suis pas assez expliqué sur ce que ie desirois de vous, ie vous prie maintenant de le bien comprendre ; et de ne pas croire, que pour m’estre plaint à vous des Injures que l’on m’a faites, il soit iuste que i’en reçoive de plus grandes. Or ce que ie demande de vostre Iustice et de vostre Clemence, est, que vos deux Theologiens soient obligez de se dédire, et de me décharger des Calomnies Atroces, et tout à fait Inexcusables que i’ay icy marquées ; et qu’ils m’en fassent une Satisfaction qui soit égale à leur Crime et à leur Médisance. Et remarquez, ie vous prie, qu’il n’est icy nullement question de la Clerselier II, 153 Doctrine, mais seulement d’un fait ; qui est de sçavoir, si ce qu’ils feignent que i’aye écrit, se trouve, ou non, dans mes Ecrits : Ce que toute personne qui entend tant soit peu la langue Latine peut tres-aisement reconnoistre. Vous sçaurez aussi que ie me soucie fort peu que l’on fasse desormais mention de moy dans vostre Academie, ou que l’on n’en fasse point ; Mais comme ie ne m’estudie qu’à avoir des Opinions tres-vrayes, et que ie conte mesme entre mes Opinions toute sorte de Veritez connuës ; ie n’estime pas qu’on les puisse bannir d’aucun lieu, si l’on ne veut en mesme temps que la Verité en soit bannie ; ny aussi qu’on puisse deffendre à personne, de bien parler de celuy dont il a bonne estime, à moins que ceux qui font cette deffense le tiennent pour un Scelerat et pour un Infame, ou qu’ils le veüillent eux-mesmes charger d’Injure et d’Ignominie. Enfin pource que ie sçay assurément n’avoir point merité cela de vous, i’attendray s’il vous plaist de vostre courtoisie une autre explication de vos Lettres, et de la part de mes Adversaires une autre satisfaction des Injures qu’ils m’ont faites. Et cela estant ie seray toute ma vie, etc.