A MONSIEUR*****

LETTRE XXIV. Version.

MONSIEUR,
La raison du Levier peut tres facilement estre demonstrée par mon Principe : Car qu’AB soit long de cent piez, BD aussi de cent piez, et BC long d’un pié, l’Arc AG, ou DE sera aussi le centuple de l’Arc CF, et partant la mesme force d’une livre en A, qui peut en descendant d’A en G, élever une Livre, ou un peu moins, de D en E, peut aussi Clerselier II, 161 élever cent livres de C en F, pource qu’il ne faut pas plus de force pour élever cent livres à la hauteur qui est depuis C iusques à F, qu’il en faut pour élever une livre à la hauteur de cent fois autant : Comme il y a depuis D iusques à E. Et la consideration de la Vitesse n’a point icy de lieu, comme ie vous avois cy-devant adverty ; Et si AB est long de cent piez, et BC d’un pié, il ne faut pas le poids de deux livres en A pour élever cent livres en C, mais une livre seulement, et un peu plus, si nous avons égard à la Vitesse, pource que le Mouvement est plus viste en A qu’en C ; Mais cela est d’une trop subtile consideration, pour devoir estre icy adjousté.

Pour ce qui est de sçavoir, si les Grenoüilles vivent ou ne vivent pas aprés qu’on leur a coupé le Cœur, c’est seulement une question du Nom, parce qu’on est assuré du fait : C’est à sçavoir qu’elles n’ont plus en elles ny le Principe qui causoit la Chaleur vitale, ny celui qui pourroit servir à la conserver, car l’un et l’autre dépend du Cœur Et c’est pour cela qu’il me semble que c’est avec raison qu’on a coûtume de dire que le Cœur est le premier Vivant et le dernier Mourant.

Quant à ce qui est des Cordes à boyau de mesme grosseur, ausquelles on suspend des poids égaux en Pesanteur, il ne se peut qu’elles ne rendent des Sons qui ayent entr’eux la mesme Proportion que leurs Longueurs En sorte, par exemple, qu’une Corde qui est deux fois plus longue qu’une autre, doit faire une Octave ; Une qui l’est trois fois, doit faire une Douziéme, une qui l’est quatre fois, une Quinziéme, une qui l’est cinq fois une Dix-septiéme majeure, et ainsi des autres. Et si en faisant l’Epreuve cela vous a reüssi autrement, c’a esté l’inégalité qui s’est rencontrée dans la grosseur des Cordes, ou en quelqu’autre chose qui en a esté la cause. Mais afin que deux Cordes de mesme longueur et grosseur fassent une Octave, on doit attacher quatre livres à l’une, et une livre à l’autre ; Et afin qu’elles fassent une Douziéme, on doit attacher neuf livres à l’une, et une livre à l’autre ; Et ainsi des autres. Et quand l’une des deux Cordes est deux fois Clerselier II, 162 aussi grosse que l’autre, on doit y attacher un poids deux fois aussi pesant, pour faire l’Unisson.

Ie vous ay écrit du Levier ce que i’en pense, c’est à sçavoir que la Vitesse n’est pas la Cause de l’augmentation de la Force, encore qu’elle l’accompagne tousiours. Mais c’est une chose ridicule que de vouloir employer la raison du Levier dans la Poulie ; ce qui est, si i’ay bonne memoire, une Imagination de Guide Ubalde.

Ie ne puis croire que i’aye écrit ce que vous m’objectez touchant le Levier, car ce n’a iamais esté ma pensée ; Mais seulement que si le poids de cent livres qui seroit en F, pouvoit élever le poids d’une livre en G, (supposé que la Ligne BG, soit centuple de BF) si la Vitesse ne servoit point d’obstacle, il ne s’élevera point à cause de la Vitesse ; et cela pour ce que l’Air resiste d’autant plus à un Cors, qu’il se meut plus viste ; Et partant il resistera plus au poids qui est en G, qu’à celuy qui est en F.

Pour ce que vous me mandez de la Balance, ie suis de l’opinion de ceux qui disent, que Pondera sunt in Æquilibrio, quando sunt in ratione reciproca linearum Perpendicularium, quæ ducuntur a centro Libræ, in lineas Rectas quæ extremitates brachiorum Centro Terræ connectunt. Et outre que la raison en est manifeste, on peut aussi le prouver fort bien par l’Experience ; Clerselier II, 163 en faisant que les Cordes ausquelles les poids seront attachez, passent par dedans un Anneau, lequel par ce moyen tiendra lieu du Centre de la Terre, et tiendra l’Inclination des Lignes fort sensible. Par exemple, si b est le Centre de la Balance Ab, et bC, ces deux bras ; Afh, et Cfg, les Cordes ausquelles sont attachez les Contrepoids ; et f, l’Anneau dans lequel elles passent si l’on tire be, et bD, à Angles droits sur Cf, et Af, ie dis que si on fait le poids h, au poids g, comme la ligne be, à bD, ils seront en Equilibre, encore que les Bras Ab, et bC soient inégaux, et que les poids g et h soient tous deux également en la mesme Ligne qui ioint les Centres de la Terre et de la Balance.

Ie ne sçay si i’ay ouy dire ou si i’ay deviné que M. N. n’a iamais fait beaucoup d’estat des bagatelles de l’Escole, ce que i’attribuë à une force et clarté de Iugement, que i’estime tenir le mesme rang entre les Vertus de l’Esprit, que les Principes tiennent entre les hommes. Et i’ay bien assez de Vanité pour me persuader, que cette mesme force d’Esprit, qui l’empesche de beaucoup estimer les Opinions de la Philosophie vulgaire, luy pourroit faire gouster les miennes s’il les avoit ouïes, à cause que ie tâche à les accorder avec le Sens Commun, qui est le mesme que le Bon Sens ; au lieu que les Regens affectent souvent de dire des choses qui luy repugnent, pour sembler plus doctes.

Pour ce qui est de la Definition du Mouvement, il est évident que lors que l’on dit qu’une chose est en Puissance, on entend qu’elle n’est pas en Acte ; En sorte que lors que l’on dit que le Mouvement est l’Acte d’un Estre en Puissance, entant qu’il est en Puissance, on entend que le Mouvement est l’Acte d’un Estre qui n’est pas en Acte, entant qu’il n’est pas en Acte, ce qui enferme une Contradiction apparente, ou Clerselier II, 164 du moins beaucoup de confusion et d’obscurité.

I’avance fort peu, mais i’avance pourtant. Ie suis aprés à décrire la Naissance du Monde, où i’espere comprendre la plus grande partie de la Physique. Et ie vous diray que depuis quatre ou cinq iours, en relisant le premier Chapitre de la Genese, i’ay trouvé comme par miracle qu’il se pouvoit tout expliquer suivant mes Imaginations, beaucoup mieux ce me semble qu’en toutes les façons que les Interpretes l’expliquent, ce que ie n’avois pas cy-devant iamais esperé Mais maintenant ie me propose, aprés avoir expliqué ma nouvelle Philosophie, de faire voir clairement qu’elle s’accorde beaucoup mieux avec toutes les Veritez de la Foy, que ne fait celle d’Aristote.

Pour vostre Saignement de Nez, il est de consequence, et vous y devez prendre garde ; outre le Vinaigre, la Moutarde, le Sel, et les Epiceries, vous devez aussi vous abstenir de Vin, et sur tout de Saffran, et de toutes fortes émotions, tant d’Esprit que de Corps, et aussi vous garder d’estre enrûmé ; Et si nonobstant tout cela il vous reprend, et que les remedes ordinaires ne le puissent faire cesser, ie vous conseille de vous faire ouvrir la Veine au pié gauche, si c’est principalement de la Narine gauche que vous saigniez, ou si c’est également de toutes les deux ; et au pié droit, si c’est principalement de la droite, et de laisser seulement couler une cuillerée ou deux de sang à une fois, puis aprés un peu de temps encore autant, et ainsi iusques à deux ou trois Onces, en l’espace d’une heure ou deux ; c’est le plus assuré remede que i’y sçache Mais ie ne desire pas que vous disiez que vous le tenez de moy, afin qu’on ne s’imagine pas que ie me veüille méler de la Medecine.

Je ne doute point que le Son ne fasse d’autant plus de bruit, que l’agitation des Tremblemens de l’Air est plus grande ; Mais notez que ie dis des Tremblemens de l’Air, et non pas des autres Mouvemens qui peuvent estre dans l’Air ; comme on peut bien agiter l’Air par le soufle mesme de la Bouche, plus fort qu’on ne fait en souflant dans une fluste, sans mener Clerselier II, 165 tant de bruit, mais non pas le faire trembler si fort. Ainsi pour vos Objections contre ce qu’on dit que le Son n’est autre chose qu’un certain Mouvement d’Air, elles sont aisées à resoudre, en considerant que la Quantité de l’Air qui est mû ne sert pas à causer le Son, mais seulement la vitesse de son Mouvement, et les tours et retours, ou le Tremblement de l’Air qui suit de cette vitesse ; comme au Chant ou à la Parole, il faut penser que l’Air qui touche le Larinx, pour le causer, se meut beaucoup plus viste que les Vens qui ne causent pas tant de bruit, encore qu’ils meuvent une quantité d’Air qui est incomparablement plus grande : Et ainsi des autres.

Ne connoissez-vous point à Londres un Medecin celebre, nommé Hervæus qui a fait un Livre, de Motu Cordis, et Circulatione Sanguinis ; Quel homme est-ce ? Pour le mouvement du Cœur, il n’en dit rien qui ne fust desia en d’autres Livres, et ie ne l’approuve pas entierement : Mais pour la Circulation du Sang il y triomphe, et a l’honneur de s’en estre avisé le premier, en quoy toute la Medecine luy est fort redevable : Il promettoit quelques autres Traittez, ie ne sçay s’il a rien fait imprimer depuis ; car ce sont de tels Ouvrages qui meritent d’estre vûs, et non pas un grand nombre de gros Volumes, qui ne servent qu’à employer ou barboüiller du papier.

Deffiez-vous de deux Prejugez, à sçavoir qu’il peut y avoir du Vuide, et que la Force qui fait qu’une Pierre tend en bas, qu’on nomme sa Pesanteur, demeure tousiours égale dans la Pierre ; Qui sont choses qu’on imagine communement comme veritables, quoy qu’elles soient tres-fausses. Mais tenez pour certain que ie suis.