Clerselier II, 166 AT II, 541

A MONSIEUR *****.

LETTRE XXV.

MONSIEUR,
Ie croy le temps que j’ay mis à considerer vos lignes Courbes tres-bien employé, non seulement à cause AT II, 542 que j’y ay beaucoup appris, mais particulierement aussi à cause que vous témoignez en auoir quelque satisfaction. Ie vous remercie de vostre exacte mesure des Refractions, la precedente en estoit si peu éloignée, qu’il n’y a personne que vous qui eust pû y trouver à redire. Pour l’écrit du sieur N. que vous avez vû, i’en ay fait tant d’estime, qu’il se peut vanter d’estre le seul de tous ceux qui m’ont envoyé quelque chose, auquel ie n’ay point fait de Réponse. Car en effet ie croirois avoir mauvaise grace de m’arrester à poursuivre un petit Chien, qui ne fait qu’abbayer contre moy, et n’a pas la force de mordre. Ie craindrois que vostre indisposition ne vous détournast du travail des Lunettes, si elle estoit autre que la Goute, mais ce mal me semble ne pouvoir estte mieux surmonté que par exercice.

Ie voudrois estre capable de répondre à ce que vous desirez touchant vos Mechaniques, mais encore que toute ma Physique ne soit autre chose que Mechanique ; toutesfois ie n’ay iamais examiné particulierement les Questions qui dépendent des Mesures de la vitesse. Vostre façon de distinguer diverses Dimensions dans les Mouvements, et de les representer par des Lignes, est sans doute la meilleure qui puisse estre ; Et on peut attribuer autant de diverses Dimensions à chaque chose, qu’on y trouve de diverses Quantitez à mesurer. Vostre Distinction des trois lignes de Direction, qui sont Paralleles, ou qui tendent à un Centre ou à plusieurs, Clerselier II, 167 est fort méthodique et utile. L’Invention de AT II, 543 vos Lignes Courbes est tres belle ; Et la raison que vous donnez pour la Tension quadruple d’une Corde qui fait l’Octave, est tres-ingenieuse et tres-vraye. Il ne me reste plus à vous dire que ce qui me donne de la difficulté touchant la Vitesse, et ensemble ce que ie iuge de la Nature de la Pesanteur, de ce que vous nommez Inertie Naturelle.

Premierement ie tiens qu’il y a une certaine Quantité de Mouvement en toute la Matiere creée, qui n’augmente, ny ne diminuë iamais ; Et ainsi que lors qu’un Corps en fait mouvoir un autre, il perd autant de son Mouvement qu’il luy en donne : Comme lors qu’une Pierre tombe d’un lieu haut contre Terre, si elle ne retourne point, et qu’elle s’arreste, ie conçoy que cela vient de ce qu’elle ébranle cette Terre, et ainsi luy transfere son Mouvement ; Mais si ce qu’elle meut de Terre contient mille fois plus de Matiere qu’elle, en luy transferant tout son Mouvement elle ne lui donne que la milliesme partie de sa Vitesse. Et pour ce que si deux Cors inégaux reçoivent autant de Mouvement l’un que l’autre, cette pareille Quantité de Mouvement ne donne pas tant de Vitesse au plus grand qu’au plus petit ; on peut dire en ce sens, que plus un Cors contient de Matiere, plus il a d’Inertie Naturelle ; à quoy on peut adjouster, qu’un Cors qui est grand, peut mieux transferer son Mouvement aux autres Cors, qu’un petit, et qu’il peut moins estre mû par eux : De façon qu’il y a une sorte d’Inertie, qui dépend de la AT II, 544 Quantité de la Matiere, et une autre qui dépend de l’Estenduë de ses Superficies.

Pour la Pesanteur, ie n’imagine autre chose, sinon que toute la Matiere subtile qui est depuis icy iusqu’à la Lune, tournant tres promptement autour de la Terre, chasse vers elle tous les Cors qui ne se peuvent mouvoir si viste : Or elle les chasse avec plus de force, lors qu’ils n’ont point encore commencé à descendre, que lors qu’ils descendent desia ; Car enfin s’il arrive qu’ils descendent aussi viste qu’elle se meut, elle ne les poussera plus du tout, et s’ils descendent Clerselier II, 168 plus viste, elle leur resistera : D’où vous pouvez voir, qu’il y a beaucoup de choses à considerer, avant qu’on puisse rien determiner touchant la Vitesse, et c’est ce qui m’en a toûjours détourné  Mais on peut aussi rendre raison de beaucoup de choses par le moyen de ces Principes, ausquelles on n’a pû cy-devant atteindre. Au reste, ie ne vous écrirois pas si librement de ces choses, que ie n’ay point voulu dire ailleurs, à cause que la Preuve en dépend de mon Monde, si ie n’esperois que vous les interpreterez favorablement, et si ie ne desirois passionnément vous témoigner que ie suis.