Clerselier II, 168 (béquet) AT II, 681 AT II, 551

A MONSIEUR DE BEAUNE.

LETTRE XXVI. Version.

MONSIEUR,
Vous avez un extréme pouvoir sur moy, et i’ay AT II, 552 grande honte de ne pas faire ce que vous témoignez desirer ; AT II, 682 Mais il faut s’il vous plaist que vous excusiez ma desobeïssance, puisque c’est l’estime que ie fais de vous qui la cause ; Et que vous me permettiez de vous dire, que, bien que les raisons pour lesquelles vous me mandez que ie dois publier mes réveries soient tres-fortes, pour l’interest de mes réveries mesmes, c’est à dire pour faire qu’elles soient plus aisement receuës, et mieux entenduës, ie n’examineray point celles que vous apportez, car vostre authorité est suffisante pour me les faire croire tres-fortes  Mais ie diray seulement que les raisons qui m’ont cy-devant empesché de faire ce que vous me voulez persuader, n’estant point changées, ie ne sçaurois aussi changer de resolution, sans témoigner une Inconstance qui ne doit pas entrer en l’ame d’un Philosophe ; Et cependant ie n’ai pas iuré de ne permettre point que mon Monde voye le iour pendant ma vie ; comme ie n’ay point Clerselier II, 169 aussi juré de faire qu’il le voye aprés ma mort ; Mais que i’ay dessein, tant en cela qu’en toute autre chose, de me regler selon les occurrences, et de suivre autant que ie pourray les conseils les plus seurs, et les plus tranquilles. Et pour la mort dont vous m’avertissez, quoy que ie sçache assez qu’elle peut à chaque moment me surprendre ; Ie me sens toutesfois encore graces à Dieu les dents si bonnes et si fortes, que ie ne pense pas la devoir craindre de plus de trente ans, si ce n’est qu’elle me surprenne  Et AT II, 683 comme on laisse les fruits sur les arbres, AT II, 553 aussi long-temps qu’ils y peuvent devenir meilleurs, nonobstant qu’on sçache bien que les Vents et la Gresle, et plusieurs autres hazards, les peuvent perdre à chaque moment qu’ils y demeurent  Ainsi ie croy que mon Monde est de ces fruits qu’on doit laisser meurir sur l’arbre, et qui ne peuvent trop tard estre cueillis. Apres tout, ie m’asseure que c’est plutost pour me gratifier, que vous m’invitez à le publier, que pour aucune autre occasion  Car vous iugez bien, que ie n’aurois pas pris la peine de l’écrire, si ce n’estoit à dessein de le faire voir, et que par consequent ie n’y manqueray pas, si iamais i’y trouve mon compte, et que ie le puisse faire sans mettre au hazard la tranquillité dont ie iouïs. C’est pourquoy encore que cela n’arrive pas si tost, vous ne laisserez pas s’il vous plaist de me croire,