AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XXVIII.

MON REVEREND PERE,
Ie suis bien aise que M. de Beaune ait refusé de faire voir au sieur de Rob. et aux autres ce que ie luy ay envoyé touchant la Ligne courbe, car il sera assez à temps AT II, 564 de leur monstrer, lors qu’ils avoüeront qu’ils ne la peuvent trouver. Ie vous prie de laisser causer le sieur P. et de ne me point envoyer son Antidioptrique sans que M. de Beaune l’ait veuë, s’il luy plaist d’en prendre la peine, et qu’il ait iugé qu’elle mérite que ie la voye. En effet i’ay un puissant defenseur en M. de Beaune, et dont la voix est plus croyable que celles de mille de mes Adversaires  Car il ne juge que de ce qu’il en Clerselier II, 172 tend fort bien, et eux de ce qu’ils n’entendent point. Ie croy vous avoir écrit cy-devant touchant les Parties de la Matiere subtile, que bien que ie les imagine rondes, ou presque rondes, ie ne suppose aucun Vuide autour d’elles ; Mais que i’ay voulu reserver à mon Monde à expliquer ce qui remplit leurs Angles. Ie n’ay nullement trouvé mauvais que le P. Niceron ait imprimé mon Nom, car ie voy qu’il est si connu, que ie semblerois vouloir faire le Fin de mauvaise grace, si ie témoignois avoir envie de le cacher. Vous m’avez obligé de m’excuser envers M. de Laleu. Car enfin ie ne sçaurois en bonne conscience luy mander aucune chose de son Livre, qui ne le desobligeast davantage que mon silence. AT II, 565 Ie n’ay rien répondu à M. de Beaune, touchant la publication de mon Monde, car ie n’avois rien à répondre, sinon que les Causes qui m’en ont empesché cy-devant, n’estant point changées, ie ne dois pas changer de resolution.

Mais, à ce propos, ie vous prie de me mander, si les Exemplaires que M. le Nonce vous avoit promis de faire tenir au Cardinal de Baigné etc. ont esté enfin addressez  Car i’ay sujet de me douter, que la difficulté qu’ils ont eu à estre portez, vient de ce qu’on a crainte qu’ils ne traittassent du Mouvement de la Terre ; et il y a plus de deux ans, que le Maire ayant offert d’en envoyer à un Libraire de Rome, il fit reponse, qu’il en vouloit bien une douzaine, pourveu qu’il n’y eust rien qui touchast le Mouvement de la Terre ; et depuis les ayant receus, il les a renvoyez en ce Pays, du moins a voulu les renvoyer.

Touchant ce que vous m’écrivez de la Pesanteur ; La Pierre est poussée en Rond par la Matiere subtile, et avec cela vers le Centre de la Terre ; Mais le Premier est Insensible, à cause qu’il est commun à toute la Terre, et à l’Air qui l’environne, si bien qu’il ne reste que le Second qui fait la Pesanteur ; Et cette Pierre se meut plus viste vers la fin de sa descente, qu’au commencement, bien qu’elle soit poussée moins fort par la Matiere subtile, car elle AT II, 566 retient l’impetuosité de son Mouvement precedent, et ce que l’Action de cette Clerselier II, 173 Matiere subtile y adjouste l’augmente. Au reste, encore que i’aye dit que cette Matiere subtile tourne autour de la Terre, ie n’ay point besoin pour cela de dire si c’est d’Orient en Occident, ou au contraire, puisque ce Mouvement est tel, qu’il ne peut nous estre sensible, ny de conclure qu’elle doit faire tourner la terre avec soy, puis qu’on n’a point cy-devant conclu, de ce que tous les Cieux tournent, que la Terre deust tourner avec eux.

AT II, 561 Ie n’ay rien à répondre à la derniere Lettre que Monsieur de Bessy vous a écrite, sinon que ie ne croy point m’estre mépris, en ce que ie vous ay mandé la derniere fois, touchant sa Question, et que la façon par laquelle ie vous ay écrit que ie la resolvois estant generale, ne comprend pas seulement le cas, où le grand Diametre est Nombre impair, mais aussi tous les autres ; En sorte que telle Methode qu’il puisse avoir pour ce sujet, si elle est vraye, ie m’asseure qu’elle en peut aisément estre déduite. Mais il semble que tout le different ne procede, que de ce que i’ay interpreté sa Proposition suivant ses paroles, et non suivant son intention ; Car puis qu’il avoit exclus les Ellypses, dont la distance des Points brûlans est moindre que le plus petit Diametre ; i’ay crû qu’il falloit chercher un Nombre, où il n’y eust point de telles Ellypses, au lieu qu’il veut bien qu’il y en ait, mais seulement qu’on ne les conte point  Et quand ie dis que le Quarré de 629. sert a quatre Ellypses, i’entens tant de celles qui ont cette distance plus grande, que des autres, lesquelles ie dis estre difficiles à exclure, etc. Ie suis,
MONSIEUR,
Vostre tres-humble, et tres-acquis
serviteur, DESCARTES.